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Couple & parking

le ciel de Californie est
magnifique
en ce jeudi midi avec couple &
parking

c’est comme un mur
infranchissable
qui n’en finit plus de se poser
devant eux

leurs questions rebondissent
contre le mur
et reviennent vers eux
encore
et encore
le mur n’en finit pas de gagner

Jean-Marc Flahaut
in Nouvelles du front de la fièvre, éditions Microbe 2007

Etat de Guyana

au Méridien Pegasus de Georgetown
une baie vitrée donne sur l’océan
des lithographies déprimantes
sont accrochées aux murs
sur une table basse une plaquette trois-volets
présente les services de l’établissement
ce soir le Latino Bar sera ouvert
jusqu’à une heure trente
l’endroit le plus chaud de la ville
est-il précisé.

dans la chambre les traces
des précédents occupants
ont été soigneusement effacées
la salle de bain est équipée
d'un bain à bulles

Lucien Quine allume la télévision
et regarde une femme nommée Eve Blackman
co-directrice de HBTV 9
faire part de son indignation
après l'assassinat à Subryanville
d'un journaliste-présentateur
qui travaillait pour sa chaine.

Vlam Chevodisky

Dessia Braithwaite, miss Guyana, photographie H. Hopkinson


Aller voir la famille

Je retrouve la petite ville comme je l’avais laissé. La mairie somnolente, le café plein, les commerces vides. Les micro-évènements. Celui qu’on appelle l’africain a un nouveau chien qui fait peur. Les jeunes se retrouvent au terrain de foot pour s’ennuyer ensemble. Quelques vieux sont morts. On a volé deux tambours à la fanfare. Un gros bidasse est entré à la police municipale et roule des mécaniques avec sa matraque et sa bombe lacrymogène. Ceux qui ne se trouvent pas quelque chose à faire boivent, ou partent.

Thomas Vinau

Septembre

Un matin comme les autres
sans cartable ni odeur d'encre
mais toujours avec ce quignon
de pain rassis dans une poche
et mes initiales
brodées sur le mouchoir.

Kath F. Gaspérini

Pas d'éclaircie

oh je ne devrais pas
sous prétexte d'insomnies
me retourner comme ça
sur mon passé
mon passé est une vraie
catastrophe atomique
une suite de fiascos
sur une musique des Stooges.

Daniel Labedan

 

Venti nove agosto duemila sette

Moi
qui prends le soleil à la terrasse

du Florian le 29 août 2007
écrivit Cobra
au dos de la carte postale
se prenant pour Alighiero Boetti
écrivant
je me suis levé à 9h37
au dos
d’une autre carte postale

Jean-Marc Flahaut

Venise, photographie Hadda B., 2007


Civilités

Le vieux José Socratès Rubaldo
a regardé Lucien Quine
comme si celui-ci
était un chat mort
il a dit
mon gars je suis d'ici
je suis né ici
j'ai toujours vécu ici
mes parents mes grands-parents
mes arrières grands-parents
et ainsi de suite
ils ont tous vécus ici
alors qu'est-ce que tu viens
me chercher des poux dans la tête ?

Monsieur Quine est resté très calme
il a répondu tu as raison vieil homme
de répéter que tu es d'ici et tout,
tu fais bien d'essayer de transformer ça
en critère de valeur
parce qu'à force de vivre ici
de père en fils depuis la saint glinglin
on pourrait presque
te prendre pour une espèce
animale non repertoriée
un truc à mi-chemin
du bouc et du vautour.

Vlam Chevodisky

Utile à quelqu'un

quelque part
en ce monde
une jeune femme
et un royaume
ne font qu’un

la jeune femme
se promène dans les rues du royaume
à la recherche d’elle-même
et chaque pont chaque
porte est une réponse à une question

ce n’est pas un crime et
pour une fois
le royaume
est ravi d’être utile à quelque
chose
et à quelqu’un

il avait fini par oublier
comment c’était de passer du temps
avec une jeune femme

il avait fini par oublier
comment c’était tout court

Jean-Marc Flahaut




Venise, photographie Hadda B., 2007


Petit voyage

dans le train il y a un rabbin
avec un chapeau noir et un habit noir
et une barbe blanche et un grand sac ed
blanc et vert et rouge
hors du train un type fait son jogging
sur un chemin de campagne éloigné de tout
je le regarde courir et ne vois ni maison
ni voiture
ni rien
des fois il pleut
des fois il ne pleut pas
ça dépend des kilomètres
à une gare déserte
le rabbin descend
je reste seul dans le wagon
et je remarque
sur le dossier du siège qu’il occupait avant
un vieux smiley
dessiné au marqueur

Christophe Siébert


Plafond

Parfois Lucien Quine pense
qu'il n'aime personne
qu'au plus plus profond de lui
quelque chose est bloqué
ou bien détraqué
je n'y arrive pas
je manque de profondeur se dit-il
mon existence est toute aplatie
comme la photo d'un paysage
en lieu et place du paysage réel.

Daniel Labedan


Des liquides

Quand je me retrouve
à la fenêtre
sous le soleil
dans un bain chaud la nuit
ou n’importe où ailleurs
il m’arrive de penser
au goût qu’aurait la bière
dans une rue déserte
de West Helena
ou au parfum de fleur
d’un rooibos glacé
sur une plage de Gorée
mais il doit y avoir
un problème puisque
je n’ai jamais
bougé mon cul
d’ici.

Thomas Vinau


Les changements

Madame Sanchez Viesca Ortiz
dit à Lucien Quine :
hier j'ai regardé un
documentaire sur Televisa
ça ne va pas très bien
chez vous on dirait
je ne croyais pas
que l'écart entre les riches et les pauvres
était si grand et que
vous aviez la misère là-bas aussi
je croyais que votre pays était
un pays riche et égalitaire
que vous partagiez les choses entre tous

hum répond monsieur Quine
l'égalité et tout ça
c'est de la vieille histoire
mon pays n'a plus aucune particularité
seuls ses panoramas témoignent parfois
d'un temps plus tranquille
et encore si on n’y regarde pas
de trop près.

Vlam Chevodisky

Soupirer

on rêve de pirates
mais c’est déjà septembre
la tristesse de reprendre
comme tous les enfants

Thomas Vinau


Inconfort passager

Au milieu de la nuit
dans la banlieue-sud de Montévidéo
Lucien Quine va en quatrième vitesse
chez le médecin de garde
et pendant qu’on lui fait une injection
essaie de penser à autre chose
en définitive il n’y a pas
beaucoup de choses agréables dans sa vie
il demande : d’où vient l’odeur de putréfaction
qui flotte sur cette ville ?
le toubib dit ça vient de l’usine
une usine spécialisée dans la fabrication de papier-kraft
quand on la sent par ici c’est signe de beau temps

un peu plus tard Quine ressort du cabinet
voit un gecko détaler et dans le ciel
clignoter les feux d’un avion de ligne
là-bas il y a une fenêtre ouverte, un peu de musique
s’en échappe discrètement comme une confidence
entre vieux amis à la fin d’une soirée réussie.

Vlam Chevodisky


Une histoire qui tient à un fil

j'ai cru un moment
que tu allais me laisser tomber
que tu en avais assez de moi
de mes points faibles
de mes idées fixes
et puis non
tu m'as dit
je t'aime toujours je ne sais pas pourquoi
peut-être parce je ne peux pas m'en empêcher
et peut-être aussi en partie parce que
j'ai peur de me retrouver seule
pendant un bon bout de temps

pour ma part je me fichais bien
du pourquoi et du comment
j'ai pris ton visage
dans le creux de mes mains
je t'ai embrassé et j'ai dit
c'est trop bien ma princesse.

Daniel Labedan

Sortie-loisir

sur le trajet pour aller au théâtre
on est trois parents pour accompagner vingt-quatre gamins
à un passage piéton on dépasse un aveugle
personne ne le calcule et lui non plus ne nous capte pas
toute la colonne lui traverse devant la canne
qu’il tapote sans comprendre dans le caniveau et puis il s’engage
il se mélange à la colonne
j’entends quelques voix d’enfants qui lui disent excusez-moi
et en passant devant l’église
il y a une renault espace de couleur noire
des fonctionnaires et des gens habillés en noir
et des couronnes
et les commentaires fusent
c’est un mort
tu crois qu’il est mort
ça c’est des fleurs pour les morts
ensuite les gosses disent bonjour à leurs reflets
croisés dans la vitrine réfléchissante d’un immeuble de bureau
au théâtre ils vont pisser par groupes de six
et ils s’emmerdent pendant le spectacle
et nous aussi d’ailleurs

Christophe Siébert


Un apprenti

Le métal tape
sur les cailloux
le trou se creuse
lentement
le manche s'imprime
dans tes mains
équation simple
la pioche
la terre
et toi

Thomas Vinau


Bonsoir bonsoir

Tous les soirs à huit heures on redoute le docteur, le diable ou sa sœur. Ces temps-ci c’est plutôt le candidat qui s’invite. Sans gêne il s’installe comme chez lui, squatte tout un coin du salon. Le faire-valoir pâlichon qui partout l’accompagne l’interroge alors sur ses positions en matière de police judiciaire, sur son attitude à l’égard des problèmes de délinquance juvénile et d’alcoolisme (« Intransigeance absolue! » s’empresse-t-il), sur les yoyos du cours des valeurs immobilières au palais Brongniart en fin d’après-midi (il compatit, ne reste court à aucune question), il promet qu’avec des poissons dans ses souliers lui aussi pourra bientôt marcher sur les eaux.

Pierre Autin-Grenier


Avant le jour

il est six heures douze
et vanessa est allongée sur ma poitrine
entre mes bras
je ne dors pas
elle ne dort pas non plus
je ne pense pas à grand-chose
et j’ignore à quoi elle pense
elle est triste je crois
je ne suis pas assez réveillé pour lui remonter le moral
je sens battre ses cils contre ma clavicule

Christophe Siébert


Zone humide

Au bout de la route
il y a d’autres routes
des marécages
des joncs
des moustiques
le soleil aplati et tout

ça fait du bien
de voir loin.

Thomas Vinau


Un aller/retour Paris-Istanbul

Je voudrais moi aussi retrouver ma maison natale
et aller me baigner dans les eaux du Nakdong
retrouver la première heure
du tout premier jour
me reposer à l’ombre d’un arbre cher
et respirer les odeurs d’hibiscus
retrouver la géographie des parfums d’enfance
et regretter en silence
une pierre, une montagne, un ruisseau

tu bois un thé sur la place du village
et tous les chants d’exils emportés par le saz
tu me les rapporteras

B. Guillon





What's a girl to do, Bat For Lashes, 2007


Correspondances

Après une matinée de train
le bonheur simple de trouver en rentrant
une lettre amie sous la porte
il est 14h à Paris
soleil radieux
il fait bon
vivre

B. Guillon


L'éveil

La peur a ses habitudes
l'heure clignote en rouge
chaque nuit
la lune se fiche de moi
pendant que je deviens
minuscule
4h30 du matin
le goût du tabac
va bien avec la peur

Thomas Vinau



Cryptogrammes

Le vendredi à 12H00 GMT
il reçoit sous forme de fichiers
les enregistrements
sonores et vidéos encryptés
selon un algorithme à sept passages
de type NSA
celui qui ne serait pas dans la combine
n'y verrait que des suites obscures
de nombres de lettres et de caractères spéciaux
bien sûr les gars du 9800 Savage Road
parviendraient à percer l'encodage
mais le secteur d'activité de Monsieur Quine
ne fait pas partie de leurs priorités
en ce moment ces gars sont plutôt
sur d'autres coups

ce qui est dit dans ces fichiers
n'a pas de valeur en soi
c'est méprisant ou ennuyeux
dans le meilleur des cas
la plupart des cibles sont des imbéciles
qui s'imaginent en route pour l'Olympe
il s'agit de trouver ce qui va
les faire atterrir
ah pense Lucien Quine
c'est assez amusant de les coincer
de leur faire courber l'échine
mais tout de même
hum, enfin bon.

Vlam Chevodisky


Vaduz




Vaduz, Bernard Heidsieck, juillet 1998


Face à la peine

Courir le long du fossé
oublier d'éteindre
la lumière du couloir
regarder une émission
sur les papillons exotiques
croire que ça passera
écouter kind of blue
et se glisser dans l’armure des draps
ça marchait bien l’armure des draps
quand j'étais petit

Thomas Vinau


Trop fort, trop tôt

Se souvenir de la petite ville
en grande couronne
donner corps à des images idéales
d'adolescents nus jeunes minces
et même si c'est peine perdue
tenter de retrouver la sensualité initiale
de Miss A.K. et d'Ericsson
voilà ce que fait Lucien Quine
allongé sur le lit
de l'hotel Gran Meliá à Sao Paolo
la main sur son sexe et les yeux clos
puis quand sa mémoire le trahit
se lève et va consulter
l'iconographie colorée
du site luxuryporngrafix.

Vlam Chevodisky


La lenteur des autres

Le gérant chinois de cette épicerie
a placé au-dessus de la porte d'entrée
une bande de soie avec des idéogrammes imprimés
qui signifient bonheur et longue vie
Lucien Quine lui achète cinq samoussas
une pile au lithium une bouteille d'eau minérale
des kleenex et trois barres vitaminées au miel
dehors il pleut des cordes
un escargot grimpe à la facade
recouverte d'une fresque pepsi-cola
de l'autre côté de la rue
de jeunes enfants se placent
sous les gouttières et s'arrosent
Lucien Quine repart sans tarder
la tranquillité de ce lieu le perturbe
et ce soir il doit être sans faute à Paulista.

D. Labedan


Ascèse

Le Monde jaunit plus vite que Libé
sur chaque surface plane de mon appartement dans
chaque pile on reconnaît Le Monde de Libé
à la pliure
je devrais enfouir tout ça dans une benne à papier
donner au Relais tous les pulls que je ne porte plus et
à un bouquiniste les livres que je ne lis plus et
enterrer dans le bois toutes mes reliques de toi et moi
avant d’aller me faire voir avec un sac léger
là où rien ne te ressemble

Fanny Chiarello


Job d'été

J’attends l’orage
coincé entre deux grands brumisateurs
en plastique noir
la serveuse fatigue à force
de porter des coupes de glaces
et des litres de bière
je suis des yeux la descente des gouttes
de sueur entre ses épaules.

Thomas Vinau


à la sauce Belle Gunness

juin
elle passe en douceur à travers la porte
et c’est Ooooh
aussi stupide
qu’une blague téléphonique
au beau milieu de la nuit

juillet
elle se cache sous les couvertures
mais c’est Aaaah
bien le premier endroit
où je décide d’aller la chercher

comme fantôme
elle est à peine aussi crédible
qu’une photo de Belle Gunness
en couverture d’un manuel
de cuisine
mais c’est juste mon avis
et nous n’en sommes encore
qu’au début de ce mois d’Août

JM Flahaut, in La maison, éditions Malab'art


Dans les terres

il pleut sur la ville et l’autobus n’arrive pas.
des heures entières passées à l’attendre
sur les lèvres un goût de sel et de sable
un peu de mer en plein continent, on dirait.

Thomas Vinau

Panama

Sur le Causeway
une autre Valérie Solanis
passe ses vacances d'été
dans un complexe hotelier climatisé
utilise un ordinateur portable
pour envoyer des instructions par email
à une collaboratrice junior

un bus Diablo Rojo passe
derrière les baies vitrées
il y a de la musique lounge
en fond sonore
et des banquettes réalisées
par un designer français
au dehors des cadres supérieurs
clôturent un séminaire
en sirotant des jus de fruits frais
dans des verres ronds
couverts de condensation
deux jeunes femmes nagent
dans une piscine en forme d'olive

Lucien Quine traverse le décor
avec un sachet de chips.

Vlam Chevodisky


Le désir de faire

Le vent
les martinets
les premières heures encore fraîches
cette façon qu’a le jour
de dire : c’est possible
tu peux tremper tes pieds
dans la rivière
planter 1000 arbres
séduire une femme
monter dans un coucou et sauter en parachute
construire une maison

le goût du café dans ces moments-là
colonne vertébrale bien droite
avant la course.

Thomas Vinau


Un cercle ou presque

deux segments d'une tige en fibre de verre
diamètre 0.5
la une d'un journal local
qui titre La sélection nationale remporte la Copa America
cent cinquante mètres de fil en nylon pour canne à pêche
une très longue queue en raphia
avec onze papillons de papier
tout ce qu'il faut pour construire un cerf-volant

celui-là plane bien
se découpe nettement
dans le ciel de Carilo
ponctué de nuages légers
sa queue ondule serpente
balaie le souvenir
des occasions manquées
il n'y a personne sur la plage
à part un chien rouge
et des pélicans
l'air est frais
l'espace d'un instant
l'existence de monsieur Quine
se confond avec le ciel
il pense : c'est presque parfait
je m'étend du Nord au Sud
et de l'Est à l'Ouest
il ne manque plus
qu'un léger correctif
pour boucler la boucle.

Vlam Chevodisky


L'adéquation

Lucien Quine ne produit rien avec ses mains
son boulot consiste à piéger
les gouverneurs les maires
et les conseillers municipaux
des agglomérations sud-américaines importantes
pour le compte d'une sociéte
internationale de mobilier urbain
pour ça il emploie un peu
de personnel local non-déclaré
des matériels sophistiqués
d'écoute et de prise de vue
il n'a pas d'état d'âme
vient d'un coin ou la morale
est une plaisanterie
il dit : après tout je me contente
de mettre à jour un état de fait
rien de plus.

Vlam Chevodisky


Venir de Rosario

à Colonia Del Sacramento le 17 septembre
le ciel est vraiment très bas une masse sombre
obstrue l'embouchure du Rio Del Plata
à 17h34 heure locale une tentacule
apparait sous un nuage
s'allonge jusqu'à la surface de l'eau
se met à tournoyer avec un bruit
de quadrimoteur à hélice
monsieur Quine vient de Rosario et attend
le ferry pour passer en Argentine
la trombe n'est pour lui qu'une série
d'images remarquables des bateaux
évaporés des voitures perchées
au sommet d'arbres dénudés des maisons
rasées des oiseaux morts des gens inquiets
d'autres soulagés de s'en être si bien tirés
une enfant perdue devant la Posada del Virrey
un autobus dans la poissonnerie Parrillas

Vlam Chevodisky



Congés annuels

1
Prendre soin du chat
de sa peau
de son sommeil
et finir ce livre
Le temps de laver
les feuilles du ficus
de redécorer un peu le salon

2
Elle pense :
il ne faudrait pas
que je termine les bons livres
quand je suis toute seule

Thomas Vinau


 

San Carlo railway Station

à la gare centrale
on peut acheter toutes sortes
de souvenirs
des petites cathédrales
en alliage léger
un parlement dans
une boule à neige
des plans de l'agglomération
des tee-shirts
des badges fluorescents
des séries de dix cartes postales
pliées en accordéon
pour ça il faut juste
vouloir repenser à cette ville
monsieur Quine n'en a pas envie
personne n'a vraiment envie
de repenser à ses erreurs.

Vlam Chevodisky


Un balcon à Taxco

Madame Sanchez Viesca Ortiz
habite au centre
un appartement de quatre pièces
près du cinéma Regal
à côté de son lit
est posée une Madone plastifiée
une gravure en couleur
de Padillas Gomez
et une photo de son fils
en vacances à Veracruz
bien sûr elle a des tas
d'autres photos de son fils
mais sur celle-ci
elle le trouve
particulièrement beau

pour compléter ses revenus
elle loue une chambre avec salle de bain
à la semaine ou au mois en demi-pension
sur le balcon qui prolonge la salle à manger
un couple de passerins non pareils
somnole dans une volière blanche
je pense rester chez vous une quinzaine de jours
au minimum, dit Lucien Quine.

Vlam Chevodisky

 

Le réel à Ciudad Juarez

Dans la ville-frontière
de Ciudad Juarez
les services de la procureure spéciale
Alicia Perez Duarte
dénombraient déjà en 2003
379 meurtres
avec scénario identique
enlèvement / torture et sévices sexuels pendant
plusieurs jours / mutilations / strangulation
les victimes étaient des femmes
brunes et minces
parfois des fillettes
en 2007 les assassinats n'ont pas cessé
les enquêteurs sont incompétents
ou bien s'en fichent
ces femmes
venaient d'un milieu pauvre
et sans pouvoir
travaillaient comme ouvrières
dans les usines d'assemblage
ou servaient dans des restaurants
leur disparition ne change pas
la face du monde
de loin en loin
on découvre des corps
dans un champ de coton
dans le désert
ou ailleurs

Daniel Labedan

Six des disparues de Ciudad Juarez :
1 Alma Margarita Lopez Garza 2 Dinora Gutierrez 3 Julieta Marleng Gonzalez Valenzuela   4 Marisela Guerra Carrillo 5 Liliana Elizabeth Montejano Sanchez 6 Ana Lidia Barraza Calderon


Ping-pong is love

La lune était rose ce soir-là
ta main peignait mes cheveux
comme un vent léger
rien n'était rose pourtant dans nos vies
la lune nous avait déliés
à moins que ce ne soit tes doigts
au contact de mes boucles
nous ne le saurons jamais
mais ce soir-là il n'y avait rien
d'autre que nous
entre nous.

Amel Zmerli

Définir son environnement

Les machines de vulcanisation portaient des noms comme Berstorff, Spirka, etc. Des fumées noires s’en échappaient en permanence. On prenait tout directement dans le nez, les hydrocarbures et toute la chimie du caoutchouc en poudre volatile, tous les solvants avec la tête de mort peinte sur les récipients, le toluène surtout, tandis que les chefs restaient dans leur aquarium en plexiglas et nous fixaient avec une sorte de haine froide. On se foutait ouvertement d'eux, et il nous arrivait d'en menacer un avec un cutter ou une clé dynamométrique parce qu'il avait fait du zèle. Tout autour de nous était noir et dégueulasse. Les anciens avaient de la suie qui leur ressortait par la bouche sous forme de petites boules, ils allaient cracher ça de temps à autre dans l'intermix, une espèce de décharge à ciel ouvert.

Philippe Nollet

Un moment tranquille

je construis un robot en légo
avec valentin
nous sommes tous les deux assis à la table du séjour
comme dans mon enfance
avec mon père
et je ne sais pas pourquoi
c’est important pour moi
nous regardons le plan ensemble
et nous cherchons ensemble les pièces
c’est valentin qui construit
surtout
moi je donne un petit coup de main
je consolide
comme le faisait mon père
peut-être
je ne me souviens pas bien

Christophe Siébert
in Le bordel quotidien / poésie hebdomadaire / 12ème livraison

Une décision ce matin

nous n’aurons jamais
des après-midis entières des nuits
blanches à partager

et c’est mieux ainsi
je continue de penser
les bras croisés
en appui sur le rebord
de la fenêtre

Jean-Marc Flahaut

Lille Moulins, photographie Hadda B.

Regarder des photos avec sa mère

Pas d'album chez nous
c'est bien mieux
quand c’est en vrac
dans un carton
on tire les photographies
comme les cartes
tu te souviens maman
c'est qui là ?
tu disais
ah ça c'est la tante Thia
et là
là c'est l'oncle Aurelio
tu les connaissais toutes
tu me les as apprises

mais celle-là, je ne sais pas qui est dessus
il fait si gris, ce n'est pas chez nous ça :
il y a de la lumière chez nous.

Kath Franghias Gasperini

New-York Stock Exchange

cette fille s'appelle
Valérie Solanis
mais ce n'est pas la
Valérie Solanis qui a tiré
sur Andy Warhol
c'en est une autre,
une trader junior du NYSE
qui veut réussir
grimper tout en haut de l'échelle
elle n'a pas de jardin secret
ou plus exactement elle n'en veut pas,
consacrer toute son énergie
à son travail
ne pas se laisser distraire
par des sentiments
voilà ce qui importe
à cette Valérie Solanis-là.

Vlam Chevodisky




I'm waiting for the man, The Velvet Underground, 25 avril 1966
enregistrement sur acétate de Norman Dolph, Scepter Studios.

Regarder Lilly Rush

Franck est seul chez lui
il boit des bières
en regardant Cold Case
cet épisode n'est pas inédit
mais peu importe
il aime les variations
de la lumière bleue
produite par l'écran plat
à l'instant où la détective
Lilly Rush entre
dans un local technique
Franck repense à
des trucs moches
qu'il a fait dans sa vie
sur le moment
ces choses paraissaient
ne pas avoir d'importance
maintenant elles commencent
à troubler son sommeil
et a lui renvoyer
une image sombre
de lui-même
ça ne peut pas durer
je dois faire
des efforts pour changer
mon comportement
sinon je vais rester
seul toute ma vie
se dit Franck.

Vlam Chevodisky

Jardin intérieur

ce bâtiment est neuf
sa façade en métal brossé
et en verre teinté
une signalétique douce indique
des départements comportementaux
des portes coulissent
avec un léger pschitt
il n'y a pas d'autre bruit
l'accueil est à droite du hall
c'est désert à cette heure-là
le jeune homme dit excusez-moi
je me sens un peu coupable
de vous déranger
pschitt
pour si peu mais voilà
les choses deviennent
compliquées
dès que je m'éloigne
un peu de chez moi
je n'arrive plus à
respirer je ne
peux plus me raisonner
je panique
il me semble que je vais
pschitt
mourir d'étouffement
j'aimerais bien
voir quelqu'un
régler ça avec vous
je suis fatigué d'avoir peur
derrière l'accueil
s'ouvre un jardin
avec des washingtonias
des bambous des lauriers
et des gens assis
sur des bancs à l'ombre
qui se repassent
leur film personnel
en boucle.

Daniel Labedan

Passer la voir et parler

En esquissant
une espèce de sourire
elle me dit
tu ne sais pas ce que c’est
d’avoir mon âge
tu me laisses sans nouvelles
avant c’était ma boîte aux lettres
qui était vide
maintenant
c’est ma boîte-mail
l’informatique
n'y a rien changé
je ne reçois que
des factures et
les offres promotionnelles
des supermarchés
c’est dur
de devenir l'amie
d’un supermarché

Thomas Vinau

Le repas de famille à Aubagne

du vin du soleil
des propos aigres
du ressentiment
et après tout ça
l’envie de
trouver de l’ombre
au fond d'une cave
l’envie d’écouter
le chant
de l’eau vive
l’envie d’aller attraper
des chauves-souris
dans un aven

Thomas Vinau

Centre d'affaires

sur l'esplanade
devant la Tour Victory
un type s'étouffe
devient gris-bleu
un jeune gars en costume
dit je crois qu'il
faut faire un trou juste-là
dans la gorge pour laisser
entrer l'air
mais personne ne sait
comment faire le trou
dans le ciel
un dirigeable publicitaire
lâche des milliers de tracts multicolores
imprimés sur papier brillant
ouah c'est trop beau
c'est la pluie psychédélique
crie une jeune fille
les secours arrivent
un brancardier dit
je vous en prie
reculez reculez
nous prenons la situation
en main.

Daniel Labedan

Trauma

oui non
je ne sais pas
d'ailleurs
je ne vois pas
pourquoi
je devrais vous
donner une réponse
vous l'utiliseriez une fois de plus
pour démontrer
que je n'ai pas
bien fait les choses.

Vlam Chevodisky

Xenia, Ohio

En 1997 Harmony Korine écrit et réalise Gummo. Tourné avec des moyens rudimentaires et des acteurs débutants, le film suit deux adolescents qui croisent un certain nombre de personnages pathétiques ou décalés de Xenia, petite ville de l'Ohio. Ci-dessous : depuis le site YouTube, la bande annonce du film, sous-titrée en français (à la fin de la lecture, vous pouvez accéder à d'autres extraits, ceux-là non sous-titrés, en cliquant sur les vignettes correspondantes en bas du lecteur vidéo).

Entre ici et le lointain, J.P. Ceton

1/ Un enfant tout petit, qui juste sait marcher, se lance à courir, échappant à la garde de sa nounou, se met à courir, court, court, on ne sait quelle impulsion le propulse, quel désir l’a envahi ni quelle ambition le possède… Quelle envie d’aller où ? De s’en aller, ne plus être surveillé, d'arriver ailleurs, dans un autre lieu… Le jour lendemain, l'enfant comme ça parti a été retrouvé sain et sauf dans une petite campagne après avoir parcouru plusieurs kilomètres... N'a pu fournir d'explications car il ne parlait pas encore assez la langue.

2/ Il est de notoriété publique, chacun le sait, que le répit se situe précisément entre l'ici et l'ailleurs. Ce pourquoi le répit survenu, momentanément, toujours momentanément, on rêve à l'ailleurs. Parce que seule la perspective de l'ailleurs apporte le répit. Les Dieux, et plus récemment Dieu, connaissent ça depuis longtemps. A leur tour, les êtres intelligents du futur le clameront, par désir ou bien lucidité ? On ne le sait pas encore, sauf le deviner déjà.

Jean Pierre Ceton

Lonely California

le studio
se situe de l'autre côté
aux environs du 2095
exactement à trois blocs de l'Université
et à moins de six
de l'entrée du parc
juste deux blocs plus loin que hôpital
et ses stores sont baissés

à l’intérieur
une fille et un garçon
nerveux et sur le point d’enlever tous leurs
vêtements pour faire l’amour

c’est lundi pour la plupart
des gens
partout et dans le monde entier
mais rien n’est fait
tout peut encore changer

Jean-Marc Flahaut,
in Nouvelles du Front de la Fièvre (portraits fragmentés d'une jeunesse américaine)

Une façon de dire les choses

avant l'aube
je suis sorti de Pointe-Rouge
sur le vieux bateau Clara
à un demi-mille j'ai coupé le moteur
la mer était lisse et noire
le sondeur indiquait 86 mètres
une fois les cannes en place
je me suis servi du café
dans le sac à côté du thermos
et des morceaux de sucre
j'ai trouvé un croquis
au stylo fait par ma femme
ça représentait
un petit homme qui prenait
un énorme poisson
elle avait écrit en-dessous
ne m'en veux pas pour hier
je tiens à toi

je me suis demandé
ce qu'elle entendait par-là
mais nous n'étions pas
dans un roman d'Ernest Hemingway
ma femme le savait et moi aussi
je le savais
un peu plus tard
le vieux bateau Clara
est passé sur un banc de bonites
j'en ai remonté une
sans me presser
la pluie s'est mise à tomber
des petites gouttes
pareilles à des embruns.

Daniel Labedan

Les sciences exactes

à dix ans j’ai tenté d’élever des escargots
à treize ans j’ai fait naître des libellules
j’ai cultivé des champignons sur les carreaux de ma baignoire
trois mille mouches dans un bocal
des tomates en forme de poire
et des petites virgules aquatiques dans une bouteille
j’ai eu six chats deux cochons d’Inde
des oeufs, des têtards, des crapauds
des phasmes, des pies, des salamandres
j’étais curieux
maintenant je suis un adulte
je récolte les ombres portées
la poussière des choses

Thomas Vinau


Wooloomooloo

j'ai vu la façon
dont tu regardais
ce crétin de Deedjee Guzmann
j'ai vu comment tu remuais ton cul
sur sa musique à la gomme
je ne crois pas que ça va durer
longtemps toi
et moi je ne vais
pas me laisser faire
n'oublie jamais je suis
le roi de l'electro-trash
des filles comme toi
en un clin d'oeil
je peux en trouver
assez pour organiser
un championnat international
de tee-shirts mouillés.

Vlam Chevodisky

Blues pour Olivia #2

ce matin
toutes mes pensées sont tournées vers la maison bleue
ce midi
toutes mes pensées sont tournées vers la maison bleue
cet après midi
toutes mes pensées sont tournées vers la maison bleue
ce soir
toutes mes pensées sont tournées vers la maison bleue

toutes mes pensées sont tournées vers la maison bleue
24 heures par jour et 7 jours par semaine
toutes mes pensées sont tournées vers la maison bleue

ça ressemble à ça ;
ma vie

Jean-Marc Flahaut

Dans la forêt, Hadda B. 2006

Chant de Stella

souvent j'ai envie
de te rappeller
l'histoire
du supermarché
mais je ne le fais pas
parce que
je sais que tu le
prendrais mal
je n'arrive pas à
te faire comprendre
que cette histoire
compte beaucoup
pour moi
c'est un révélateur
je voudrais que
tu changes
mon chou
que tu sois plus
responsable
que tu te rendes
un peu utile
à la maison
tu pourrais
ranger le garage
tailler la haie
des choses comme ça.

Vlam Chevodisky

Le raccourci

Stella coupe
par le parc municipal
pour retrouver son fils
plus vite
les feuillages soyeux
les rosiers écarlates
le jasmin, les bambous
frémissants
elle s'en fiche
ce qui lui manque
est dans le petit Marc-Angelo
l'innocence
l'espoir
le pardon etc
tout un tas de concepts
très émotionnels
qui lui donnent la force
au matin de s'en aller
construire une
histoire particulière.

Daniel Labedan

Quai de Mourepiane

J’ai perdu mon mari il y a trois semaines. Subitement. Sur le coup des sept heures du matin, alors qu’il prenait son café. Il s’est affaissé sur la table et puis son bol est tombé par terre. Rupture d’anévrisme. Ça m’a fait un drôle d'effet de me retrouver veuve comme ça, d'un coup. Les papiers à remplir, l'enterrement, les démarches pour la pension de réversion et les visites m’ont occupé l'esprit un moment, mais maintenant que la famille et les amis sont partis, que les voisins ont repris leurs habitudes, le désœuvrement et la solitude me tombent dessus. Je ressens un vide énorme. Parfois il me semble entendre sa voix, son rire ou ses pas dans l’escalier, alors je vais ouvrir la porte. Faut croire que je perd un peu la boule. Faut que je me reprenne. Il arrive encore du courrier pour lui, en général des catalogues, des circulaires, des invitations à des réunions associatives. Quand c'est nécessaire j’envoie en réponse la photocopie d'une lettre que j’ai rédigée à cet usage : Madame ou Monsieur, je vous informe par la présente du décès de mon mari Marino Giléoni et vous prie d'effacer son nom et ses coordonnées de vos fichiers. Je vous en remercie par avance. Annie Giléoni. Depuis quarante-trois ans j’habite ce trois-pièces. De la terrasse on voit les cargos et les grues de déchargement. Il y a quarante-trois ans, nous avions choisi d’habiter là pour que mon mari soit près de son travail. Il travaillait dans l’enceinte du Port Autonome. Aux Douanes. Il faisait des paperasses. Enfin bon, son travail n’avait rien de dangereux. Quand la retraite est venue nous sommes restés là. Pourquoi on aurait été ailleurs ? Et pourquoi faire ?

Daniel Labedan

Chien moins un


ton chien est mort cette nuit
d’habitude il dort
avec moi dans mon lit
et quand je me lève il me suit
dans la cuisine
mais pas cette nuit

cette nuit
il a sauté
de mon lit
il est mort

je n’ai pas voulu t’appeler
je n’avais pas envie
de gâcher ton week-end
en amoureux

je l’ai mis dans le frigo
oh ! J’imagine ta tête
mais un chien mort dans un frigo
ça n’a vraiment rien
d’extraordinaire c’est comme
j’imagine
un canard ou un lapin mort
dans un frigo

bon
il faut que j’y aille
j’ai creusé un trou dans ton
jardin et je vais
l’enterrer avant qu’il décongèle

il est au soleil
la gueule ouverte depuis bientôt
une heure
et je n’aime pas trop le voir comme ça

J.M. Flahaut  (pour C. & J.C.)

Marche arrière

Des fois
je voudrais tellement
pouvoir me cacher
tout au fond de toi
et y rester
mais je suppose
que c’est un peu immature
comme forme d’amour.

Thomas Vinau


Je ne te dis pas tout

Lorsque tu me demandes à
quoi je pense
j’ai envie de répondre je suis
une libellule
une libellule déprimée
libellula depressa

c’est ça
que j’ai envie de répondre
mais
je ne le fais pas
je réponds autre chose et
chaque fois
c’est un mensonge

je me demande quelle tête
tu ferais
si je te répondais ça un jour
sérieusement

J.M. Flahaut

Import/Export

à Sète
sur le ferry Marocco
j’ai échangé un billet
contre un petit mensonge sec
mélangé à de la rouille.

Thomas Vinau


Chambre obscure

Tu ne sors plus
tu exiges que les contrevents
soient fermés
que monsieur Nanoglou
abatte les arbres
à feuilles caduques,
ma chérie ne m'en veux pas
mais tout de même
j'aimerais comprendre
ce qui se passe.

Daniel Labedan

 

 

Correspondance avec Jim

je pars demain / passer quelques jours et / quelques soirs à Cabourg / j'aimerais bien visiter la maison bleue de Da Costa / un beau morceau d'art brut / mais je crains que cela ne soit impossible / elle est interdite aux visiteurs / j'ai raconté un baratin à la fille de la mairie mais / je pense qu'elle ne m'a pas crû / bref / on fera autre chose / aller voir Spiderman 3 dans une salle minuscule du bord de mer / par exemple.

Jim

Des choses qui comptent vraiment

la flore et la faune
toi ma jolie Nine
les papiers d'identité
la carte de Sécurité Sociale
et celle de la mutuelle
la photo où je suis
tout petit avec grand-mère
sur la plage à Mimizan
la maison
le lit
une voiture.

Daniel Labedan

Tour operator

Dans sa voix
j’ai senti comme un reproche
lorsqu’elle m’a dit :
tu vois sur la table
le reste du pecorino di crotone ?
Il vient du fond de la Calabre,
hé bien dans ma vie
j'ai moins voyagé
que ce bout de fromage.

Thomas Vinau

Double nationalité

Si j'en suis là
aujourd'hui
c'est parce que mon
père était
voyageur de commerce
ou parce que
j'habitais dans
un pays gelé
ou dans un désert
ou dans un container
avec un gecko.

Daniel Labedan

Des creux, des bosses

Attacher des grappes de souvenirs frais
les suspendre sur un cintre
les laisser flotter
quelques heures
ne pas les replacer tout de suite
dans la cage
attendre
qu’une clé se dessine
la clé de l’impossible retour
laisser ces souvenirs se balancer au bout de pinces à linge
ils retrouveront des couleurs charnelles
dénouant le passé d’un présent saturé
les souvenirs sont des pavés où il faut s’aventurer
jusque dans l’accident
entre deux interstices
creux et bosses se déploient
l’esprit talonne un semblant de chemin
la rue se cambre
les pavés jouent avec l’ombre depuis
toujours

Amel Zmerli

Cavalier nu

Ce matin
le mistral est un cheval sauvage
je pourrais m’enfuir par la fenêtre
en lui grimpant sur l’échine.

Thomas Vinau

Night-clubbing

Rudy vient au Central Cosmos
pour la première fois
de sa vie
Princesse Stella
le trouve superchou
il a l'air très
mal à l'aise
c'est vrai
il ne sait pas danser
n'a pas du tout
confiance en lui
mais Princesse Stella
est une fille
capable de soulever
des montagnes
elle dit :
j'aime bien votre
bague tête-de-mort
et votre air perdu
vous venez d'où
exactement,
de la planète
Wulli-Wulli ?

daniel Labedan

Canto allo scugnizzo (extraits)

Je ne les ai pas vus
on m'a dit qu'ils étaient hargneux
ce sont des misérables, pas des camorristes
en temps de guerre la faim est bien plus triste
mais poussée par ces gueux Naples résiste

(...)

Pendant quatre jours
qui n'a pas de fusil lance des pierres
et la ville une fois libérée
dans les ruelles des vieux quartiers et au port
on ne voit que des gamins tués

Sur la place du marché aussi
gît le corps d'un gamin sans vie
qui sait quel salaud l'a tué
une vieille le regarde et dit
"Qu'est-ce qu'il est beau
il est aussi beau que Masaniello".




Canto allo scugnizzo , E. Bennato
interprété par le Neapolis Ensemble sur le disque Napoli, Chants traditionnels napolitains
(édition Calliope n° 9367, enregistrée en 2006 au studio Synfonica Records de Naples)

Point de vue

En me levant ce matin
quelque chose avait changé
peut-être était-ce le ciel
qui prenait cet étrange
air d’escalier
peut-être la couleur des choses
était-elle plus douce
peut être qu’il y avait
quelqu’un ici pour moi
juste pour moi
ou peut être que mes yeux
n’étaient plus mes yeux.

Thomas Vinau

Des amants

Jerry aime bien
quand Pam fait semblant
d’être jalouse

tu sais bien que tu es le seul
homme de ma vie
dit Pam

une fois Jerry a dit
on ne montera pas là-haut aujourd’hui

il y avait une tempête
et peut-être bien
un peu de neige aussi

on ne montera pas là-haut aujourd’hui
a fait Jerry
la main de Pam
toujours prisonnière de la sienne

J.M. Flahaut

Empire State Building, photographie Hadda B.

Apesanteur

Il pense : ça fait un bail
que je ne me suis pas senti aussi léger
l'envie lui vient de s'avancer
un peu dans l'océan
peu importe mon pantalon se dit-il
je le ferai sécher devant le radiateur
le soleil n'est pas couché
une sterne fait des boucles
des poissons viennent voir
de quoi il retourne.

Daniel Labedan

Linéaments pour plus tard

Tu ne vas pas partir chasser
le cerf
encore moins le raton laveur
comme Charles Kinney
piéger ou
la tortue ou la grenouille.

Le ciel change
dans les yeux du lac
maintenant
comme une machine
à remonter
le temps à l’intérieur
de toi.

Jean Marc Flahaut, in Sept secondes avec le soleil
© les éditions Carnets du dessert de lune, 2004

Paroles du chant d'Anudadak

je marchais au bord d'un lac
il y avait un renard qui grapillait des baies
il est venu vers moi, je lui ai pris la queue
et il m'a tiré jusqu'au sommet d'une montagne
ça soufflait un peu de l'intérieur
il y avait un petit vent.

Paroles d'un chant de la chamane Kaga,
notées par Paul-Emile Victor (expédition à Ammassalik, 1935)

Robert Flaherty 
Portrait d'Allegoo (Shining Water), Baffin Island, 1913-1914


Nord

Au sud d'Alesund
la pluie glacée au soir
le blizzard durant la nuit
au matin les arbres
étincelants de givre
sous un soleil pâle
un élan occupé
à retourner la neige
avec ses sabots
et toi sur le seuil
qui me dis : sois prudent, Lakki.

Daniel Labedan



Aqausiq (chant inuit, Canada), Unesco Collection Auvidis n° D8032, 1991.

Souvenirs de l'Est

je ne peux pas oublier
la cache à faux papiers
la troisième chaise maudite
et le café soluble
de ta
petite
cuisine
soviétique.

Pascal Duvergé, septembre 2006

Delta

Même en prenant le
Rhode Island Train
jusqu'au terminus
je ne trouverais
que la misère
et les ennuis,
oh bon sang
la seule chose qui
vaut la peine ici-bas
c'est quand je vais
retrouver ma poule
à Saint Louis.

Douglas Nehemiah Jordan




A spoonful blues , Charley Patton, 1929


Colline sacrée

Il fut un temps où
cette ville n’était pas ce qu’elle est
aujourd’hui

c’était une ville fort différente
avec
des rues différentes

des ponts
des jardins
des cafés des restaurants

cette ville était un peu
comme une colline sacrée
car personne n’osait prononcer son nom
en public

le temps a passé
et le souvenir de ce nom a disparu

le vent s’est assis confortablement dessus
et tous les ressorts ont sauté

tout le monde l’a oublié
ça fait.

In Nouvelles du front de la fièvre, J.M. Flahaut




Araignée dans le vent, photographie Hadda B.

Maritime

Il devait être minuit
lorsque la trace d’un dessous de verre
sur le zinc
m’a donné l’impression
de voir la Mer Morte
à travers la saleté
d’un hublot

Thomas Vinau

Sous le pont

nous nous sommes rencontrés
l’an dernier
chez Pete
en face du River Cafe
vous partiez faire une
livraison avec votre fils
quelque part dans Brooklyn

je vous ai dit
que j’étais professeur de littérature
et je vous ai menti
je travaille comme bénévole dans
une association
qui recueille les chats abandonnés
près des entrepôts

pour moi ça ne change rien
j’attends de vos nouvelles

comme promis

J.M. Flahaut

Brooklyn bridge, photographe inconnu, 1937

Petite pomme

monte sur une échelle si
tu désires autre chose
qu’un baiser sur
sa pomme d’Adam

J.M. Flahaut

GE Building, N.Y.C., photographie Hadda B.

Don Giovanni Restaurant

des photos
en noir & blanc
de ténors & de truands
au dessus
du four à pizza
ça ne te rappelle rien ?

J.M. Flahaut

 

Quelque part à Soho, photographie Hadda B., 2007

Un air de Big Sur

Aujourd’hui, par hasard
j’ai marché un peu
dans la paix
pendant que le matin
me caressait
les poils des bras
j’ai marché longtemps
dans ce poème
où Brautigan
me tenait la main.

Thomas Vinau

Chelsea, N.Y.C.

une vieille femme
avec des bottes en caoutchouc
une vieille asiatique
avec des milliers de sacs en plastique
assise sur un banc
dans le hall

devant
c’est la nuit
des ombres filent comme des fléchettes
vers la Huitième Avenue
et je suis de celles là

J.M. Flahaut

Chelsea Hotel, N.Y.C., photographie Hadda B.

Icones

elle
a
de drôles de
fesses
Yoko
c’est flagrant sur
Two
Virgins

comme le nez au milieu
de la figure de
John
au milieu de n’importe quoi
d’autre.

J.M.  Flahaut


Strawberry Fields, Central Park. Photographie Hadda B. 2007

Le nirvana ou presque

je n'ai jamais
quitté la ville
roulé en Buick
je n'ai pas vu les Stooges en concert
je n'ai jamais péché l'espadon
ni même fait du surf
mais il me reste sur les doigts
et la langue
l'odeur de Gloria
et ça suffit pour
me consoler de tout.

Vlam Chevodisky

Les oiseaux célestes

il avait compris
que le médecin
lui cachait quelque chose
depuis un moment déjà
les infirmières étaient
un peu trop attentionnées
un matin il a demandé
à une amie
qui lui rendait visite
d'entrouvrir la fenêtre
il a entendu
les cris aigus des martinets
entrevu quelques-unes
de leurs acrobaties célestes
et il a dit :
on dirait bien que
les beaux jours sont là.

Daniel Labedan

Etonnement du chef Néron

Il y a une chose
qui me parait très étrange
dans votre façon de faire :
vous inventez des paroles
vous les chantez accompagné
par de nombreux instruments
et puis vous les oubliez.
Chez nous voyez-vous
c'est tout différent,
les chants demeurent
ils ont chacun leur lieu
mais ils n'ont pas de temps,
ou plutôt si :
ils sont du temps des rêves.

Chef Néron, tribu Kalshut, Australie Méridionale

 

Enfants de la péninsule Ungava, Robert Flaherty, vers 1910

Une façon de s'en sortir

Le parking est désert.
J'accompagne d'un murmure
la chanson que fait la pluie tiède
en tambourinant
sur le capot de la Clio.
Rêver me repose
des coups durs.

Thomas Vinau

Recommencer

oh je dois dire
que depuis ton départ
je me débrouille assez mal
je me laisse aller
complètement
mais je suppose que
tu t'en fiches

je vais jeter notre album-photo
et toutes les choses
qui ont rapport avec toi
de près ou de loin.

Daniel Labedan

Ouvrier au sommet d'un gratte-ciel, New-York
Datation et photographe inconnus (vers 1930 ?)

Etxe lurra

Sur les branches tordues
des pins à crochets
chantent des becs-croisés
plus haut
se cachent des lacs saphirs
aux eaux profondes et froides
sur leurs rives
campent des apatrides

dans chaque vallée
niche un couple d'aigles.

Aitzuri Uhalde

Ultramar Bay

Après la faillite de Worldcom
Tony et Camerone
s'étaient retrouvés sans boulot
et étaient partis se refaire
sur une île des Caraïbes
là-bas Camerone vendait des bikinis
et Tony réparait des propulseurs diesels
pour le compte d'un yachtbroker local
les jours de congé ils allaient s'allonger tous les deux
sur une plage derrière Ultramar Bay
et passaient leurs samedis soirs au Blue Spot Club
après deux ans de cette vie lente et un peu molle
Camerone s'était mise à stresser
à dire qu'elle se sentait coincée
que cette île était un tombeau
qu'elle en avait par-dessus la tête
du corail
des poissons exotiques
des frangipaniers
de la musique lounge
et des cocktails plein de glace pilée.

Daniel Labedan

Ma vieille flamme

ça pourrait être pire
se réconforte la valise oubliée
de Kennedy Airport
avant ça
j’étais à East Harlem
sous le lit cage
d’un dentiste
à la retraite
qui continuait d’arracher
les dents de ses patients
en les faisant payer
autrement

J.M. Flahaut

Retour de N.Y.C, photographie Hadda B.

Funky

Devant le club Tank-Tank
un type ivre
dit à tous
et à personne
jusqu'à
l'année dernière
les choses allaient
bien pour moi
je roulais en Porsche
mes costumes étaient
coupés sur-mesure

une jeune fille brune
chaussée d'escarpins glamour
lui répond
on s'en fout,
on s'en fout complètement
de ce que tu étais
tu pourrais mourir demain
ça ne changerait rien
à ma vie

D. Labedan

S'inscrire

Assise sur une caisse
elle plume une poule en riant
et l’odeur de la plume bouillie
aménage sa chambre
au fond de ma tête
dans la petite maison
des souvenirs d’enfance

Thomas Vinau

Dust island

Deux gosses qui
se battent au
fond du bus

le soleil joue
avec la crasse
des carreaux.

Eva van Cool

Le voilier

Hier on s'est disputés avec Clara
je lui ai lancé un fromage de chèvre
elle m'a lancé une panière à pain
un dessous de plat
un yaourt aux fruits rouges
j'ai dit ok Clara
je vais dormir sur le bateau
je suis parti au port
là-bas c'était quand même plus tranquille
mais pas moyen de fermer l'oeil
à cause du bruit des haubans
de l'odeur du fioul
et du ressentiment
qui m'empoisonnait l'esprit.

Daniel Labedan


Telegraph Avenue

Un trou dans mon poing laisse passer la vallée
qui sourit comme un œuf piétiné sur une carte postale
jadis on troquait ici ou là des produits manufacturés
contre des peaux de loutre
contre de l’eau et du santal
plus tard
en refaisant mon lacet j’ai entendu des talons de femme
claquer sur Telegraph Avenue
le même son que les gargouillis dans mon ventre
le ciel était bleu comme le bras du camé
dans son oldsmobile
et les camélias en fleur
d’un bout à l’autre de l’après-midi.

Jean Marc Flahaut,
Extrait de Nouvelles du front de la fièvre,
portraits fragmentés d'une jeunesse américaine, 2007

Je suis né à Chiconi

Je suis né à Chiconi sur l’île de Mayotte au bord de la mer. Je passe toute ma scolarité là-bas. J’ai cinq frères et trois sœurs. Chiconi est une ville parfaite et tranquille. Mon père est pêcheur. Ma mère est cultivatrice. Mon père à une barque à lui. Bleue avec une étoile blanche. Derrière chez nous il y a une montagne de quatre cents mètres d’altitude. Du haut on voit la mer loin et les villes à côté. Les jeunes garçons se construisent des maisons en terre qu’on appelle bangas et puis ils les colorient. Maintenant je suis à Marseille pour le travail et je dois faire une formation professionnelle dans l'électricité ou la maçonnerie si j'arrive à avoir les papiers pour ça. Je gagne de l’argent bientôt.

Ousseni M.

Ressac (à B. Manciet)

L’invité arriva à l’heure dite. Dans le salon, on avait ouvert les portes-fenêtres pour faire entrer la fraîcheur. Des rideaux d’un tissu passé s’envolaient à la brise, et l’exhalaison résinée de la pinède voisine flottait partout. Tout près —sur cette branche de tilleul peut-être ?— chantait un merle. On entendait au loin le bruit du ressac. La table était dressée pour deux, on avait sorti la porcelaine et l’argenterie ; sur une nappe de coton épais, on voyait le monogramme brodé du poète. Celui-ci était un peu plus loin, occupé à lire dans un fauteuil crapaud aux accoudoirs lustrés. Il accueillit son convive sans cérémonie, lui attrapa les épaules, le secoua un peu, dit qu’il était heureux de sa venue. Avez-vous fait bonne route, demanda-t-il ?
Ils passèrent dans une petite pièce dont les murs blanchis à la chaux étaient vierges de tout ornement, à l’exception d’un crucifix et de la reproduction d’un tableau où figurait Yeats : mon bureau, dit le poète. Près de la table de travail surchargée de feuilles manuscrites et de revues littéraires, se trouvait un petit meuble-bar équipé d’un bac à glaçons. Le poète servit des anisettes. Ils attendirent un peu pour les boire que la condensation se fut formée sur les verres, parlèrent ensuite de leurs affaires et du temps qui passait. Il y eut ensuite un long silence dans lequel reposa à la fois la paix du monde et une trille de merle, puis le poète fixa tristement le petit portrait jauni de Yeats et confia qu’il se sentait au bout du rouleau. Malgré les dénégations de son interlocuteur, il insista :
  - Voyez-vous, j’ai fait mon temps. C’est sûr, j’ai un peu peur de passer l’arme à gauche, mais pas plus que ça, car dans le fond j’aspire au repos. J’ai fait ici-bas un travail de rien, un travail inutile, car nul n’a besoin de poésie alors même que chacun doit se nourrir, se vêtir et se loger. Néanmoins la poésie peuple la solitude d’une nuée de personnages fantasques, et c’est en cela qu'à mon avis sa valeur est inestimable. J’y ai mis tout mon cœur, là-dedans. Oui… Mais le cœur ne suffit pas à produire une œuvre passable. Enfin… Bon … Ah ah ah ! La poésie ! La poésie ! Je ne compte pas le nombre de fois où des gens d’ici, pourtant avisés de mes productions par le quotidien régional, me demandaient : et qu’est-ce que vous faites comme métier, à part ça ?

Daniel Labedan


Murmures

Pour rentrer je poursuis la lune le long d’une route de campagne. Au bout il y a le repos. L'air me pique les yeux et à mon arrivée les apparences sont endormies. Il ne reste que des choses habituellement invisibles qui gigotent dans les zones d'ombre. Les minutes s'emplissent de chuchotements. Je passe sous le tuyau d’arrosage du jardin et reste un long moment sous les gouttes d'eau. Maintenant je crois que je vais aller dormir. J'y ai droit, après tout ce temps passé à travailler.
Mais voilà que l'oiseau sans nom choisit ce moment pour chanter dans la nuit. Tous les autres oiseaux dorment depuis longtemps. Certains sont déjà morts et rôtis, d'autres ont renoncé à construire un nid et traînent sur les branches. Mais l'oiseau sans nom est d'une autre trempe, et n’aime pas que les aiguilles tournent dans le sens des montres. C’en est un qui, s’il était un homme, manquerait de tempérance. Et d'une certaine façon, cet oiseau est mon reflet dans l'opacité nocturne. Souvent nous nous retrouvons là tous les deux, après mon retour de l'usine, pour explorer l’obscurité. Aussi, lorsque la solitude me paraît trop pénible, il me plait de penser que cet oiseau pourrait être mon confident. Il logerait derrière mes paupières, s'amuserait de mes prétentions. Pour lui faciliter la vie, j'habiterais l'encadrement d'une fenêtre, une aire de repos pour nuages à égale distance du dehors et du dedans. De temps à autre, lorsque nous viendrait l'envie, nous construirions ensemble des jouets pour les enfants mélancoliques. Ses yeux me serviraient de lampe de poche pour atteindre les lendemains.

Thomas Vinau

Les études dans le Nord

Ma très très chère fille,
Ça y est, le nécessaire a été fait au sujet de ton inconscience. J’espère que tu ne recommenceras plus. Avant de faire un chèque, on s’informe de l’état de son compte.
J’espère que tu te fais à ta nouvelle maison. Attention au gaz et aussi à bien fermer la porte d’entrée. Je joins ta carte mutuelle. Tu dois l’avoir toujours sur toi : surtout ne vas pas la perdre, nous n’en avons qu’une par an. Ici, la famille va bien.
Ta maman qui t’embrasse.

Ma très chère fille,
J’arrive à l’instant des commissions de Saint Barnabé où je suis allée poster la photocopie de ma feuille d’impôts, mais avant je suis allée chez le coiffeur, j’en avais bien besoin. Lundi je vais chez le docteur Muller, ayant terminé le traitement, je dois le revoir. Gisèle cherche toujours du travail, prions pour qu’elle en trouve vite car elle grossit (si tu lui écris, motus là-dessus !).
Je pense que tu es en bonne santé, prends patience et ne pense qu’à tes études. Bientôt tu seras en famille. Je t’embrasse.
Maman. (déchire ce petit mot)

Ma très chère fille,
Hier j’ai fait cette brioche que je t’envoie ce matin, tu la laisseras dans le papier aluminium pour ne pas qu’elle sèche. Je vois a la télé chaque soir qu’il fait bien froid là-bas dans le nord. Lorsque tu sors, couvre-toi… Couvre-toi la tête également. Prend soin de ta santé. Tu pourrais m’écrire…étant malade et loin on se fait plus de soucis.
J’espère que ce petit mot te fera plaisir ainsi que le gâteau.
Ta maman qui t’embrasse.
(ce matin, j’envoie le paquet, si tu peux rapporte la boite)

Arlette Dellatana

S'endormir le jour

Une après midi d’été
pendant la sieste
j ’ai trouvé mon île
un océan
entre ses deux seins
le merveilleux naufrage,
Robinson

Thomas Vinau

Avant de partir

dimanche jour d’élection
épais nuage
gorge de pigeon qui s’étend sur une maison et
c’est notre maison
c’est chez nous

en ville tous les cent
mètres une affiche électorale sur
la dernière quelqu’un
a affublé le maire d’une barbe postiche
+ des lunettes
avant de lui faire souffler

des cœurs à l’intérieur d’une bulle de
bande dessinée
avec tendresse
toute chose est possible sur la route
de l’amour & de la politique

J.M. Flahaut


Souterrain

Entre les ronces
un minuscule trou vert
c’est mon chien
qui l’a trouvé
en premier
il ne cherchait pas
de refuge
moi si.

Thomas Vinau


Nuit claire, nuit noire

Je rentre à la maison
cette nuit la lune est nue
je marche sur le rebord des trottoirs
repense au videur qui m’a dit
non toi tu n’entres pas
et à mon ombre funambule
se mêle la silhouette d’un chien.

Harchi Kaoutar

 

Oklahoma City, photographie Russell Lee, juillet 1939

Olympique de Marseille

Trois minots dans le jardin public
leurs cris et le ballon qui claque contre le mur
et dans le ciment
le cinéma qu’on veut
de Spiderman à Zidane
des bouts de rêves entre les pigeons

Thomas Vinau


Darwin en province

En promenant
mes doigts
le long de
ton ventre
je me demande si
ton pays n’est pas
le chainon
manquant
de mon
évolution.

Pascal Duvergé, Février 2007

 

Nude, photographie Imogen Cunningham, 1923

Accident chimique

un brouillard dense enveloppe la ville
la température chute très vite
une poussière fine et huileuse
tombe en pluie
à la radio le gouverneur
déclenche le plan d’évacuation
la sécurité civile nous distribue
des masques à gaz
des combinaisons nbc
les téléphones portables
ne fonctionnent plus
chacun cherche
un enfant, un conjoint, un aïeul.

Nesto Kacharian

Une chansonnette



L'herbe tendre , Serge Gainsbourg et Michel Simon, 1968.
Paroles : Gainsbourg. Musique : Gainsbourg et Colombier.
Cette chanson se trouve sur le coffret  Le cinéma de Serge Gainsbourg, musiques de films 1959-1990.

Ne raconte pas n'importe quoi

- t'as vu ?
- je peux pas je conduis.
- mais au bord de la route...
- quoi?
- là, dans le pré, y a deux dromadaires.
- deux dromadaires dans le Vaucluse ?
- je t'assure!
- qu'est ce qu'ils font?
- rien, je crois. Ils sont couchés dans l'herbe. On dirait qu'ils se marrent.

Thomas Vinau

Rive de l'Eyre

L'Eyre passe derrière la maison, en bas d'un pré envahi par les graminées. Son lit n'est pas profond et ses eaux oxydées coulent lentement à travers la Haute Lande en suivant de grands méandres. Pour aller s'y tremper, mes frères, mes sœurs et moi empruntons un chemin tracé par notre père à l'aide d'une tondeuse autoportée. Tout autour de nous volent des nuages de papillons et d'insectes. Les cigales font un bruit terrible (c'est dingue ce que ça fait comme bruit, une cigale). Avant d'arriver à la rive, nous nous taisons puis nous avançons avec précaution pour tenter de surprendre le héron cendré qui traîne dans les parages. Hier il nous a survolés si bas que ma plus jeune sœur a craint d'être capturée et emportée au ciel. Oh : ce coup-ci il n'est pas là.

Claire Rivas

Paysage de Gravelines, photographie Hadda B.

Courir à Tanger

Sol brûlant. Rue déserte. Gauche. Droite. Traverser. Courir. Désobéir. Te défier. Te mépriser. Ignorer les passants. Les narguer. Cracher. Relever ma djellaba. Courir encore. Pleurer. Trembler de peur. Serrer mes poings. Entendre l'appel du muezzin. Refuser d'y répondre. Regarder droit devant. Foncer. Perdre une sandale. Trébucher. Me cogner à un mur. Me faire mal. Tomber. Tourner au coin d'une rue. Constater mes blessures. Essuyer mon front. Jeter un coup d‘oeil. Devant. Derrière. Repartir. Discrétion. D'abord marcher. Doucement. Puis vite. Prendre mon élan. Courir à nouveau. Défier le vent. Perdre mon foulard. Cheveux nus dans la rue. Pour la première fois. M'en moquer. Fixer un point. Viser l'horizon. Caressée par l'air salé. Le Grand Soko. Le port. Saine et sauve. Prier Dieu. Maudire l'homme. Fuir. Courir. Partir. ETRE LIBRE.

Harchi Kaoutar

 

Vue générale de Tanger, cliché Chusseau-Flaviens 1900-1910
Collection Georges Eastman House.

 

 

MISE EN LIGNE :  DANIEL LABEDAN & LES HOMMES INVISIBLES

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#2



[AILLEURS]

Voici que débute le deuxième work-in-progress de la revue. Son thème est entièrement contenu dans le mot ailleurs. Là-bas, en haut, en bas, dans les nuages, à dos d'éléphant, dans le ventre d'une baleine, en prison, à l'hôpital, sur l'étoile géante Rigel, dans une ferme pas bio, sur l'ile de Ré ou à Alcatraz, nous attendons de vous, lecteurs, des créations sur ce thème aux contours variables. Ces créations, comme à l'habitude, doivent se présenter sous forme de pièces jointes adressées par email à notre adresse. Cependant nous nous réservons la possiblité d'accepter ou de refuser les travaux qui nous parviendraient.


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