Lèvres

Le baiser est l’acte le plus intime qui soit, encore plus que le coït lui-même. Quand vous embrassez quelqu’un, vous choisissez de ne pas le mordre. Vous respectez sa langue. Vous respectez ses mots. Vous respectez l’essence même de sa différence. De sa nécessaire différence, qui vous embrasse en retour.

Sébastien Doubinsky, in Mots d'orange

 


De la neige

à dix heures la sonnerie du téléphone le réveille
Chloé a trouvé un appartement plus grand à Paris
tandis qu’elle en fait une description approximative
il regarde par la fenêtre les enfants des voisins
construire un bonhomme de neige dans leur jardin
avant de raccrocher il l’entend dire
je suis impatiente de te retrouver
il songe que pour bien faire
il devrait à présent finir la rédaction de son article
mais il choisit de se recoucher et s’endort
avec l’image de son amante assise nue au bord du lit

Cécile Thibesard

 


Codula illune

à l'aube trois gouttes de pluie sont tombées
des rafales de vent marin ont arraché
des lambeaux d'écorce aux eucalyptus
il fait frais maintenant
près d'une fontaine au bassin poli par
quatre siècles de frottements
une femme vêtue de noir
s'est assise sur une chaise cannée
feuillette la Nuova Sardegna
en attendant le retour de sa fille tandis
qu'un vautour griffon plane là-bas
au dessus de Genna Sarbene

Daniel Labedan

 

 

 


Une tasse de thé vert

à la menthe
ou à ce qu’on voudra
a souvent
réponse à tout

Jean Marc Flahaut

 


Amour

(à Sophie Képès)

Allumer le
Chauffe-eau
Vers 23 heures,
L'éteindre au
Lever —bouton
Rouge haut: on
Bas: off

Sébastien Doubinsky, in Paket Kongo

 


La mer

Le vent s’amuse avec les vagues et mon amour s’amuse avec le vent. Galets parsemés comme le trésor de Midas changé à nouveau. Le vent tourne et je pense à Hemingway, à cause du Vieil homme et, mais pas seulement, il y a aussi son suicide, son fusil dans la bouche, sa dernière chasse, chasseur et gibier mélangés, qui est qui? Seule sa douleur qui plane au-dessus de ça et sa veuve qui va pouvoir devenir enfin Mrs. Hemingway et ses amis qui vont pouvoir enfin devenir les amis d’Hemingway et les biographes qui vont pouvoir enfin devenir les spécialistes d’Hemingway. Mais c’est du passé tout ça, terminé, emballé. Juste un gros corps à la morgue avec quelques poils de barbe au menton collés de sang. Une signature. Un nom sur une couverture. Hemingway. Le vent s’en fiche, il joue avec les cheveux de mon amour qui s’en fiche aussi. Rire qui ricoche sur les vagues comme un caillou plat. Nous sommes peu de choses, accrochés au vent comme la voix d’une femme une après-midi d’hiver, invisibles, vent dans le vent. Personne ne parle encore de nous à notre place. Nous ne connaissons pas notre bonheur.

Sébastien Doubinsky, in Cinq diamants de la sagesse, 1996

 

 

 

 


Hamburger Lady

Boulevard de Sébastopol
un psychotique armé d'un grand couteau
course un infortuné
qui revient de danser le tango
aux Trottoirs de Buenos Aires
Majesty n'entend rien
malgré la proximité de la tragédie
ni les appels au secours de la victime
ni les gargouillis du sang sous pression
il a son lecteur mp3 branché
son casque lui transmet
Hamburger Lady au maximum du volume
il touche le ciel et sort de sa poche de veste
la petite bouteille pleine d'amphétamines
diluées dans du jus d'orange
la victime s'appelait Franck Shazener
sa famille et ses amis disaient Francky tout court

quand Francky avait quinze ans son père s'était serré
la ceinture pour lui acheter un scooter Lambretta
qui avait été volé sept jours après
certains types ne sont pas très forts
question survie ils partent avec un handicap
ou bien un malheureux concours de circonstances
fait de leur existence un fiasco petit format

Daniel Labedan

 

 

 


Message de Lily Valentine

je viens de rentrer
je suis passée dans un magasin de lingerie
acheter trois shorty blancs en dentelle
le modèle s'appelle Divine
au macdo j’étais en caisse essentiellement
il y avait beaucoup de lycéens
ils ne sont pas toujours très agréables mais bon
en rentrant j’ai trouvé sur la boîte aux lettres un colis surprise
d'une amie que j’ai connue à la fac de Clermont-Ferrand
on ne s’écrit que deux fois par an seulement
mais je crois que notre amitié est réelle
elle a envoyé des surprises pour les petits
et pour moi des marque-pages
sur lesquels il est écrit
on ne lit pas à table
ou : arrête de lire, regarde moi
voilà ça m’a fait chaud au cœur
j’espère que ta journée s’est bien passée
et que des poèmes te sont venus à l'esprit
je vais prendre ma douche
faire du courrier
et aller au supermarché
à tout à l’heure

Cécile Thibesard

 


Les jeunes gens sérieux

le 28 octobre à l'Apollo Theatre
de Manchester en première partie de soirée
un groupe local peu connu se produit
le chanteur a un visage d'ange
est vêtu d'un costume sombre
parfois subitement il agite
ses membres à la façon d'un épileptique
puis son corps retrouve une immobilité étrange
il s’approche du micro et avec une voix
grave de vieil homme peiné lâche
je te vois disparaître
ne disparais jamais
j’ai besoin de toi ici aujourd’hui


Majesty ressort plus tard changé
comme peuvent l’être les jeunes gens
étourdis par un fort sentiment d’identification
et par la découverte d'une part
cachée d'eux-mêmes

Daniel Labedan

 

 

 


C.T.P.C.

je vais partir
m’en aller &
quitter cette ville
ses rues
sont contre moi
ses avenues
aussi bien

avec elle
rien n’est simple
ça l’est
avec toi

Jean Marc Flahaut

 



Le retrouver

Nous n'avons pas parlé de sa souffrance
nous sommes allés voir le cheval
nous avons vidé quelques verres
nous sommes restés là
à jouer avec les enfants
un moment il m'a dit
tu sais maintenant il faut qu'on s'occupe tout le temps sinon ...
je lui ai souri aussi tendrement que possible
et plus tard nous nous sommes dit au revoir
à travers la vitre de la voiture

Thomas Vinau

 


Vieille incandescence

la neige vient de tomber
par la fenêtre
j'entends le glissement du bus
sur l’asphalte
entre deux feux rouges le silence
si je fumais encore
ce serait le moment idéal
pour allumer une cigarette
et laisser mes pensées se dérouler
en volutes dans la chambre

Patrick Palaquer

 


Combien sont-ils là-haut ?

combien
sont-ils là haut ?
se demande Penya Sandor

elle ne parle pas
des centaines d’anges en résine argentée
qui envahissent depuis des années
les étagères de son salon
mais des gens qui vivent
dans sa tête et la rendent chèvre

Penya Sandor tente de les chasser
de son esprit
mais c’est peine perdue
ils reviennent chaque fois
plus nombreux
des rubans & des roses
plein les cheveux

si quelqu’un avait pu
faire quelque chose les faire
disparaître par exemple
ça se saurait
non ?

personne ne viendra
déclare Penya Sandor
par forfait
maintenant
c’est trop tard
jamais plus ils n’obéiront

Jean Marc Flahaut

 


Replay

à chaque réveil une séquence
récursive occupe son esprit
il se voit dans la position du tireur couché
sur un toit d'immeuble il vise quelque chose
ou quelqu'un en bas avec un fusil
à longue portée muni d'une lunette
mais l'image s'arrête là :
Majesty ne se voit ni tirer ni tuer

Daniel Labedan

 


L'industrie

Un professeur d’esthétique l’amène
dans un lieu d’expérimentation
une usine désaffectée rue de Palikao
des performeurs allemands tronçonnent une Austin Mini
font exploser une carcasse de veau avec un bâton de dynamite
sur une bande-son de Pan Sonic
Majesty s’ennuie un peu
regarde les spectateurs depuis un point reculé
s’intéresse à la façon dont chacun s’arrange
avec sa timidité et son désir
puis confie au professeur
son intention de partir sans délai
pour le club Rose Bonbon

Daniel Labedan

 


Un pressentiment

Aux Bains-Douches la fumée donne à l'air une teinte bleue
mouvante dans les rayons lumineux
au comptoir une jeune fille
venue de Lelystad et coiffée d'une casquette
façon gavroche pleure
ses larmes tombent sur le comptoir
se diluent dans une petite flaque de téquila sunrise
ému Majesty vient s’accouder à côté de la jeune fille
au cours de la conversation qui suit
il apprend qu’elle se prénomme Ineke
et qu'elle est triste car ce soir en particulier
le visage du monde lui déplait
plus tard il la raccompagnera en voiture
afin de lui éviter la pluie froide de novembre
déposera un baiser sur ses lèvres
avant de la voir disparaitre
dans un hôtel haussmannien

Daniel Labedan

 


Abstraction, colères

Curieux et tournés vers l'innovation
Sofia et Majesty citent des sociologues français
des auteurs américains ou des poètes russes
font référence à des plasticiens majeurs
recherchent des images idéales et rares
empruntent des éléments de style
aux musiciens pop de Manchester
ou à la mythologie grecque
mais poussés par la jalousie
perdent parfois leur self-control
se disputent s'insultent et se jettent
toutes sortes d'objets à la figure
des verres pleins
des livres
des parts de pizza
des disques vynil
un objectif photographique 300mm
une sculpture de 9 kilos signée Schwitters.

Daniel Labedan

 

 


photographie Alexandra Bougé

 

 


Deux attentes

sous les toits de la ville avec
vue sur les nuages et le front du fleuve
Sofia l'héberge lui pardonne tout car
aimer passionnément est l'essence de sa vie
et tandis qu’il se perd dans un état mélancolique
la belle Sofia consume ses forces
à tenter de le retenir frotte
contre lui sa peau parfumée à l'opium
soulève les courbes sensuelles de son corps pâle
en suivant les arabesques vocales d'Elizabeth Fraser
mais Majesty insensible à ce don s’obstine
à espérer une découverte une perspective
quelque chose de grand de nouveau

Daniel Labedan

 


Fièvre, fumées, danse

Dans la nuit à côté du square
debout au milieu de jeunes hommes casqués
Majesty regarde brûler le car blindé
les bris de vitrines
les sirènes des véhicules prioritaires
les coups frappés contre les carrosseries
et les cris d’enragés composent une
œuvre furieuse sur un tempo rubato
les lueurs des autos incendiées
éclairent à côté de lui le svelte Lido vêtu de noir
une étoile peinte sur son casque en train
d’esquisser des pas chassés

à une centaine de mètres
des travailleurs membres d’un syndicat réformiste
roulent des drapeaux rouges autour de leur hampe
en criant aux amis de Majesty
jeunes crétins décadents fils de bourgeois
vous êtes en train de tuer la contestation
vous faites le jeu des conservateurs et des fascistes

Daniel Labedan

 


Mouvement, lumières

Majesty sort au crépuscule
habillé comme un prince
passe par le quartier Cluny
renifle de temps à autre
une préparation qui stimule son intellect
et aiguise ses perceptions sensorielles
entre sur un coup de tête
dans un café-galerie près des Beaux-Arts
pour y discuter un moment avec une inconnue
repart plus tard avec elle jusqu'au Palace
ou Jenny Bel'Air officie en tant que physionomiste

au milieu de créatures fantasmatiques
il danse un moment avec sa nouvelle amie
puis avec une autre semblable à une princesse
nue sous une tenue de résille à larges mailles
et jusqu'à l'aube sans promesse
tourne autour d'un axe
marqué par une boule à facettes
tandis que dans une salle privée en sous-sol
des couples s'enlacent et se soudent

Daniel Labedan

 



Forever changed, Cale & Reed

 

 


Markplatz

le dimanche il se lève vers midi
parce qu’il s’est attardé la veille
dans des soirées étudiantes arrosées
il boit un café en écoutant un cédé jazzy
offert par Chloe au début de leur histoire
puis il allume son ordinateur et travaille jusqu’au soir
sur des articles destinés à des revues scientifiques
cet après-midi il a eu envie de sortir un peu
il s’est rendu à Marktplatz où se tient un marché de Noël
s’est promené un moment au milieu des petits chalets
sur le chemin du retour il a aperçu de loin Andrea
qui tenait son plus jeune fils par la main

Cécile Thibesard

 


Ma seule & véritable amie

on marche
quelque part dans la rue

tu te souviens
la soirée chez Jonas ?
oui
tu dis oui mais en fait
tu as tout
oublié


ça fait
longtemps que j’ai
pigé le truc
je fais non de la tête
et j’essaye
de ne plus y penser
sauf que

plus tard
elle s’échappe et
elle écrit
mieux
elle griffonne
des phrases en boucle
au fil des pages de son carnet
qui semblent ne rien
vouloir dire du tout
mais qui
en réalité
portent sur tous les aspects
de notre vie

Jean Marc Flahaut

 


Une contrefaçon

mon enfance
m'a longtemps semblé heureuse
emplie de jeux d'eau
de pâtés de sable
d'escalades aventureuses
et tutti quanti
mais aujourd'hui
je me décide à regarder
les choses en face
et je revois
les attentes
les efforts
les pleurs
les troubles
et les grandes mains de mon père

Daniel Labedan

 

 


Un voyage en Bretagne

(...)
d’une échelle un jeune vé
liplanchiste à la dérive
les grandes régates de Lo
rient les 100 ans de Jeanne du
petit collège à l’internat
du grand lycée les parents font
du débroussaillage propose
des produits pour chiens un loto
pour financer les projets des
centaines de fidèles des en
fants sous la protection de Saint
Gilles Newton d’un soir peut se
racheter Midoun du Home
s’annonce redoutable une
loi interdit la solitude
pour les hamsters essayez l’ho
méopathie le vent d’ouest est
faible puis modéré l’après
midi coupe de la ligue
Vannes repart du bon pied contre
l’abus d’antidépresseurs la
rentrée des huîtres un géant
vacille la prison pour des
sévices sur un chien un prêt
accessible à tous tous unis
contre la vie chère filet
mignon de porc huit euros cin
quante le kilo origine
France un recours contre sa dé
construction la fromagerie
de Boissey rappelle ses fro
mages Deauville et Livarot
people or not people parti
cipez au concours photo la
fusion des deux poids lourds du porc
de l’Ouest Madrange une opportu
nité des uniformes pour
la police les paysans
de Calcutta pour les loge
ments écolos cruauté sur
animal c’est aussi ça le
U commerce à l’écoute de vos
enfants violents geste dé
sespéré d’un jeune homme qua
lité/prix pas de compromis
(...)

Xavier Makowski

 

 


Trop sexuel comme histoire

Cette fille s’appelait mimi_cracra
son pseudo me faisait bander
nous avons baisé par mail interposé
et nous avons discuté
de la possibilité de nous voir pour baiser pour de vrai
l’idée semblait lui plaire
sûrement parce qu’elle ne connaît pas ma gueule
tout le long de cet échange
j’ai joué avec le fantasme
que c'était Vanessa
qui me montait un plan
pour m’exciter
mais quand Vanessa en est venue à apprendre
l’existence de mimi_cracra
mon fantasme s’est effondré
et cette inconnue
a perdu tout intérêt
je repense à cette courte histoire
avec un sentiment de déception
légèrement déprimant
pendant qu’on baisait
de façon épistolaire
mimi_cracra écrivait han pour marquer son excitation
à chaque phrase salace que je lui envoyais : han
ce point commun avec Vanessa
me permettait
de croire à ma fiction

je regrette de ne pas avoir conservé nos mails
ça m’aurait fait de la matière première
pour les bouquins que j’écris
le reste du monde n’est que ça pour moi
tout ce que je vis n’est que ça
de la matière première
dont je me sers au besoin
que je modèle et redonne
au monde

Christophe Siébert

 


Enseigner à Dusseldorf

L’hiver il fait déjà nuit lorsqu’il sort de l’université
il traîne quelques heures dans un bar du quartier
drague la serveuse et discute avec les habitués
parfois regarde un match de football
sur le téléviseur placé au-dessus du comptoir
ce soir en rentrant dans l’appartement vide
il trouve un message téléphonique de son amie qui vit à Paris
elle annonce qu’elle viendra passer quelques jours avec lui à Noël
il la rappellera demain
ce soir il veut juste s’allonger
lire quelques pages du Mars de Fritz Zorn
et s’endormir dans les draps qui ont conservé le parfum d’Andrea.

Cécile Thibesard

 

 


Simple chronique des ombres (extrait)

Ses talons claquaient sur la dalle. Elle heurta ma valise, s'excusa et engagea la conversation. Elle me raconta l'ennui d'être toujours à attendre quelqu'un. Moi aussi j'attendais. Je crus voir de la mélancolie dans ses lèvres qui tombaient, charnues. Mais ce ne devait être que mélange d'ironie et de gourmandise sensuelle jamais assouvie. Je devinais que cette amertume, elle la cachait comme un ultime secret. J'aimai plus que tout ce regret marqué par le temps sur sa bouche. Arriva, sur le quai, une jeune fille au long cou comme celui d'un cygne. Elles se firent la bise. La voyageuse me dit « Enfin ma nièce ». Et l'on se sépara.

Francine Laugier

 


Le dénivelé

Carmen ne me comprend plus
mes phrases dit-elle
ressemblent à l'extinction d'un souffle
en définitive je n'ai plus envie
de parler parce que c'est inutile
je m'abandonne à une lumière blanche
tandis qu'autour mes amis
se forgent des convictions neuves
je me souviens d'un truc
qui me faisait vivre il y a des années
mais je ne sais plus le nommer
et d'ailleurs maintenant qu'importe
le nom des choses

te souviens-tu mon ange
comme on s'amusait
à l'Eldorado ?

Daniel Labedan

 


Vers les Apennins

on s’est rencontré
en 1998
sur la route de Manosque
je faisais du stop
personne ne s’arrêtait
je me suis mis à prendre
tout en photo
les paysans
les voitures qui passaient
la moto
le randonneur
puis tu es arrivée
mon objectif te visait comme
les autres sujets
de cette matinée
je t’ai prise en photo
tu t’es arrêtée d’un coup
radieuse
cela faisait si longtemps pour toi
en quelques heures
tu es redevenue la gamine
insouciante de La Spezia

Philippe Ledoux

 

Froid et rapide

je suis venu par derrière
il m'a filé l’argent
j'ai refilé l’argent
atterri sur de la coke à Bucarest
par un matin brumeux alors que la place
était vide j'ai planté ce type
au matin dans les halles à peine
réveillées du sommeil froid
pour un gramme et
j'ai regardé les gens marcher

Alexandra Bougé

 


Photo A. Bougé

 


Le sèche-linge Tankarville

quand tu venais
je n’avais pas besoin de ranger en quatrième vitesse
avant ton arrivée parce que
tu te fichais complètement de l’état de mon appartement
nous restions dans la cuisine
et tu me demandais comment j’allais
je mettais la bouilloire en route
déposais dans nos tasses un sachet de thé
tu jouais avec les enfants
quand j’avais à étendre le linge
tu en profitais pour te moquer gentiment
de mes sous-vêtements
en disant vraiment il faut faire quelque chose
je repense à tout ça ce matin
dans cette ville de province où je viens d’emménager
tandis que j’essaie d’écrire une lettre pour t’avouer
sans trop t’inquiéter que je ne vais pas bien

Cécile Thibesard

 


Un temps à champignons

Les morts ne sont pas loin
à l'automne les pierres
ressemblent à des dents

il pleut depuis des jours et
nous pensons plus souvent l’un à l’autre
tu m’as appelé deux fois ce matin
je t’ai gardée longtemps serrée contre moi
à midi dans la voiture il faisait chaud
j’avais mis le chauffage pour la buée
nous avons écouté une musique
très douce en roulant dans les flaques
le long des champs détrempés

Thomas Vinau

 


ça fait longtemps que je t'observe

tu es
ce carton sur le trottoir
que les passants
enjambent
maladroitement
de peur
de tomber

tu es
ce gosse appliqué
au fond
de la classe
pliant
comme il faut
les ailes
de son avion 

il te faudra
plus de temps
qu’un autre
pour comprendre
ce qu’il y a
à comprendre
pour ensuite
le regretter

Jean Marc Flahaut

 


Boire et fumer

Les alcooliques me sont devenus sympathiques. La vie qui s'use, la dépendance. À deux, être prêts à toutes les feintes pour boire. Se sentir légèrement saoul, la brume qui envahit, se sentir alors prêt à tout. Prêt à toutes les confidences, prêt à toutes les actions, en restant assis à sa table, un verre à la main. Boire et parler, parler. Jouer son destin sur une table de bar. Les rêves, les rêves jamais réalisés qui surgissent, les prononcer : y croire encore. Croire que la vie est un amas de possibles : ils arrivent, ils submergent comme des vagues. Le vin donne du courage. Tout est encore possible : les grandes aventures, les grandes décisions. Même quand la bouche est pâteuse, on parle encore. Même quand on tient tout juste debout, on veut y croire encore.
Les fumeurs, eux, sont comme les chats : ils sont d'une dépendance individuelle. Ils restent à lire le journal, à écrire. Ils ne craignent ni la solitude, ni l'anonymat, ni la froideur des bars. La chaleur, ils la trouvent dans leurs volutes de fumée. Qu'on leur fiche la paix, ils savent s'occuper seuls. Bien qu'eux aussi, parfois, ils refont le monde en buvant un café.

Francine Laugier

 

 

 

 


Chanson du froid revenu

il vient pe burta* ce jour-là sans doute les gens
les gens, ils ne sont pas là
ils m'aiment à pleine dose pe burta*
les gens viennent à moi, on vient
ils ne m'aiment pas
ils ne viennent pas à moi
je n'ai pas de chez moi, il n'est pas de chez lui
il amène des maladies / ils traînent
ils ne regardent pas par où ils marchent, ils m'aiment pas
ils ne savent pas qui ils sont les sans-abri /  ils m'aiment pas 
ils ne savent pas qui sommes-nous / ils ne viennent pas jusqu'à nous
ils ne savent pas qui ils sont
ils ne viennent pas à nous
ils font comme si tu n'étais pas là / le jour, la nuit, ne te voient pas
un homme regarde, il voit pas
un homme regarde la mer, il n'est pas chez lui
l'homme est vert
il regarde au loin, il vient à quatre pattes
à jeun
à jeun

*pe burta : en roumain se prononce pe boureta : sur le ventre

 

poème & photographie : Alexandra Bougé

 


Continuum

on a disposé dans le chambre du père
des bougies et des bouquets de fleurs
la porte doit rester close afin que le courant d’air
n’accélère pas la dégradation du corps
dehors, la mer est immobile

en bas de l’immeuble, sur la plage,
un enfant jette des galets dans l’eau
avec de grands gestes rageurs
à côté de lui, son grand-père tente doucement
de lui expliquer pourquoi on ne l’a pas autorisé
à voir le bébé sortir du ventre de sa mère

en mer un homme seul écrit
dans son journal de bord : mer morte
vent en grève depuis trois jours
obsédé par une question :
au même moment dans une journée
combien d’êtres humains prononcent-ils
ces mots « il/ elle ne respire plus »
et inversement combien annoncent
une nouvelle vie ?
c’est aussi absurde que de vouloir
compter les étoiles

Olivia Profizi

 


Se poser trop de questions

il ne fallait pas faire de bruit
j'ai lu des poèmes de Baudelaire
pendant qu'elle regardait la nuit par la fenêtre
nous n'avions que quelques heures
avant qu'elle ne retourne chez les éducateurs
c'est elle qui a fait le premier pas
quand le jour s'est levé elle m'a dit
ce n'est pas grave
je ne l'ai jamais revue
maintenant je me demande
si toutes les premières fois
sont aussi tristes

Thomas Vinau

 


Poème pour Célia

le lycée
était situé près d’un bois
nous passions
d’agréables moments au lycée
et aussi
d’agréables moments dans le bois
à réviser
nos cours
le dos collé à un arbre
je ne dois pas être
le seul
à rêver de tout ça

Jean Marc Flahaut

 


La ville

Je vivais à la périphérie des villes, près d’un feu de paille léger, pétillant, un culcus* en voile de vent, pendant des années j’ai vécu là, tout seul. Un jour, ils me surprirent, m’ont dit de déguerpir : ordre de police. Je ne savais pas où aller, alors j’errai comme ca, de route en route.

*culcus : en roumain se prononce “ couleqouche ” : nid, abri

 

poème & photographie : Alexandra Bougé

 

Une programmation sociale

Le mercredi 5 décembre 2007, Robert Hawkins, un jeune homme de 19 ans, entre dans le centre commercial Van Maur d'Omaha armé d'un fusil d'assaut. Il tue huit personnes, en blesse cinq autres puis se donne la mort. Ci-dessous, la traduction de deux lettres découvertes ensuite à son domicile.

à mes amis
Mes amis, je suis désolé pour tout ce que je vous ai fait endurer. J’ai été une vraie merde pendant toute ma vie, c’est tout ce que j’ai su faire apparemment.
Je sais que tout le monde se souviendra de moi comme d’une sorte de monstre mais essayez de comprendre que tout ce que je veux c’est de ne pas être un fardeau pour ceux dont j’ai voulu prendre soin toute ma vie.
Je veux juste emporter un peu de cette merde avec moi.
Je vous aime tous énormément et je ne veux pas que vous pensiez que je vous manque, dites vous bien que vous êtes bien mieux maintenant que vous n’avez plus à m'entretenir.
Mes amis, je veux que vous vous souveniez de nos bons moments.
Pensez à la putain de célébrité qui m’attend.
Vous avez toujours été là pour moi les mecs.
Je regrette simplement de devoir agir tout seul.
Vous êtes les meilleurs amis qu’on puisse espérer avoir les mecs.
C’est tout ce que j’ai à vous dire.

à ma famille
Je suis vraiment désolé de vous en avoir fait baver mais je n’avais pas l’intention de tant vous blesser, je ne vous reproche pas de m’avoir renié, simplement je ne supporte plus d’être un fardeau pour mes amis et vous. Vous serez tous bien mieux sans moi.
Je suis vraiment désolé pour tout ça.
J’ai réalisé que je ne pouvais plus continuer cette vie dénuée de sens, je n’ai pas cessé d’être une source de déception et les choses auraient continué ainsi de toute façon.
Gardez seulement en mémoire les bons moments que nous avons partagés.

(traduction C.T.)

 


Robert Hawkins, photo Lavista School District

 


Chronologie

à 17h30 le lundi 10 mai je compose un numéro de téléphone
et je vais au devant de ce qui sera le plus grand chagrin de ma vie
il dit qu'il est amoureux d'une autre
je demande c'est fini entre nous ? et il répond oui
à 17h 45, une amie vient me remonter le moral
à 18h00 un livreur de chez Darty arrive
et explique à mon amie le fonctionnement de ma nouvelle télé
son jeune assistant me regarde à la dérobée
des larmes diluent l'encre de ma signature sur le reçu

Olivia Profizi

 


Chronologie, encore

sur le parking de Carrefour
l’air est froid et impregné d'une odeur d ’essence
même s’il n’y a presque pas de voitures
les portes à tambour tournent lentement
j’entre dans la galerie marchande
il est huit heures et quart
les premiers clients sont déjà là
des vieux et des vieilles accrochés à leur chariot
ils sont comme dans un entonnoir
à la pointe dirigée vers les grilles fermées
tous les regards sont tournés vers elles
les vieux sont tous habillés pareils
avec des pantalons de vieux
et des gilets gris ou marron
un vigile fait les cent pas
il semble perdu dans ses pensées
au milieu de la galerie marchande il y a un kiosque
qui appartient à une chaîne de fleuristes franchisés
l’employée est déjà là en tablier vert
elle fait la mise en place tandis que
de l’autre côté des grilles des employés circulent en portant des paniers
et disposent des produits en rayon
les caissières sont à leur poste
elles déchirent les rouleaux de pièces
au guichet d’accueil les deux hôtesses discutent
l’une d’elles rie
il est huit heures vingt
les télés s'allument partout dans la galerie
je lève la tête vers le poste le plus proche de moi
le programme dure moins de cinq minutes
et passera en boucle jusqu’à la fermeture
il y a d’abord un écran fixe avec le logo de Carrefour
puis les horaires d’ouverture
puis l’heure
puis la météo régionale
et nationale
et européenne
puis les programmes de la télé hertzienne présentés par télépoche
puis une information sportive présentée par l’équipe tv
puis une photo de deux femmes en maillot de bain
assortie d’une fiche signalétique
qui indique leurs prénoms leur ville d’origine leur cursus et leurs centres d’intéret
puis les programmes de la tnt
toujours présentés par télépoche
et ça revient au début
je détourne les yeux
à huit heures trente le grincement métallique
capte l’attention de tout le monde
comme le panneau arrière d'un ferry entré au port
les grilles se lèvent lentement

Christophe Siébert

 


La Caletta

Du temps où j'allais avec oncle maoro
pêcher des petits poissons au bord du bras de mer
les lendemains recelaient
de formidables coup d'élans
de l'amour du sexe
des romans captivants
des musiques renversantes
des idées lumineuses
chaque jour était une aventure
qui mobilisait mon esprit et mes sens
j'étais rapide et transparent
comme l'était l'eau ces matins-là en Baronie
mais le temps a passé
l'oncle maoro s'en est allé
j'ai quarante-huit ans
désormais j'habite loin du bras de mer
mes nuits sont sans rêves et
mes matins sans impatience

Daniel Labedan

 


Calcul mental

combien
d’amis as-tu à cette
heure
de
la
nuit ?
vingt
trente
quarante ?
sans doute plus que ça
en réalité et pourtant
ton répondeur ne contient
aucun nouveau
message

Jean Marc Flahaut

 


Cagliari, part I

mère lui a dit
tu mens
père a répondu
non je ne mens pas hein fiston que je mens pas ?
ah tu vois chérie ce petit gars a les pieds sur terre il comprend
que certaines choses sont possibles et d'autres non

d'après mes souvenirs
les choses ont commencé à se détériorer comme ça
puis un an plus tard père est parti avec la femme
d'un sculpteur sympathisant communiste
parfois il venait me chercher le temps d'un week-end
il me disait tu vois fiston j'aurais bien aimé
rester avec ta mère je sais que pour toi ça aurait été mieux
ça t'aurait donné plus de stabilité mais ta mère
je ne la supportais plus elle ne comprend pas grand-chose
aux idées nouvelles elle n'est pas curieuse pas très futée

père était très sûr de lui sa pensée était constituée
d'un réseau serré d'affirmations et de certitudes
il était cadre moyen à la SICE/SPA viale la playa
responsable de la documentation il en connaissait
un rayon sur les systèmes de participations défiscalisés
il touchait aussi sa bille en mots-croisés force 4
faisait des barbecue-parties avec ses amis
du volley-club de Cagliari

en 1954 il avait eu la tuberculose
ma mère l'avait soigné des mois durant
à cette époque ils étaient très amoureux
sur une photo on les voit tous les deux souriants
à califourchon sur un scooter lambretta

Daniel Labedan

 


Aménagement intérieur

elle n'a pas de projet aucun talent
le temps passe parfois elle pleure sans raison
se trouve bizarre a toujours l’impression d’être double
de se regarder agir de jouer la comédie pour les autres
voilà ce qu'elle m'a dit au téléphone
ce matin je n'ai pas su lui répondre
lui changer les idées la distraire d'elle-même
elle a raccroché et je me suis mis à enlever
la moquette usée dans le couloir
en-dessous le parquet était en parfait état
mon appartement allait bientôt
ressembler à quelque chose

Patrick Palaquer

 


Parce que partout c'est pareil

elle me dit que je peux la croire
"je ne suis pas folle
d'accord ?"
dans tous les services
dans tous les dépôts
c'est la même chose
et ailleurs
c'est peut-être pire encore
ceux qui ont tout
en veulent toujours plus
pour elle c'est ça
ça et l'économie
et partout on trouve la même chose
parce que partout c'est pareil

je l'écoute les bras croisés
elle est brune assez
petite
le genre plutôt triste et très jolie
et puis aussi
ça fait trop longtemps qu'elle se fait avoir

Jean Marc Flahaut, in Rengaine, Les Carnets du Dessert de Lune 2004

 

 



Alger,
photographie Hadda B.

 

 


Cagliari, quartier Stampace

assise sur son fauteuil en skaï rouge
carlotta passe des heures devant la télé éteinte
fume des cigarettes américaines les écrase
ensuite dans un cendrier sur pied placé à sa droite
attend là que claudia ou giovanni téléphone et quand
cela arrive entame la conversation par un
je croyais que ton frère et toi vous m'aviez oubliée pour de bon

elle n'invite jamais personne d'ailleurs n'a pas d'amis
vit seule viale san ignazio dans une grande maison de style liberty
à l'étage dans une chambre tapissée de soie vieux rose inchangée
depuis le départ de sa fille une danseuse en porcelaine
attend qu'une main remonte sa mécanique pour tourner
sur elle-même et des insectes morts séchent sur les appuis
de fenêtre les pattes en l'air

Daniel Labedan

 


Porto Rotondo

un samedi il vint jusqu'à la panne et monta à bord
derrière le capot de roof il supplia ouvre-moi Lucia
je peux être le meilleur équipier d'avant
que tu aies jamais eu à bord du Nibari Crown
mais elle n'ouvrit pas se contenta de dire
va t'en, tu ne fais pas l'affaire

après de longues secondes
elle l'entendit repartir
le bateau roula imperceptiblement
lorsqu'il descendit la passerelle
elle soupira puis alla jusqu'au réfrigérateur
se chercher un yaourt aux fruits
revint s'asseoir dans le carré
à côté du chat Milord
reprit sa lecture tandis qu'au-dehors
le vent tombait avec la nuit

Daniel Labedan

 

 

 


Des vacances en quelque sorte

pendant que je flottais dans les limbes
de la maladie mentale
tu apprenais à grimper sur les rochers
ton père te laissait courir sur la plage
te lisait une histoire le soir venu
entre les murs d’une vieille maison
à des kilomètres d’ici

j’ai tout fait pour que tu oublies
cet épisode de ta vie
j’ai moi-même presque perdu
le souvenir de t’avoir dit à ce soir
avant de t’abandonner mais
peut-être un jour te reviendront
en mémoire ces semaines loin de moi

Olivia Profizi

 


Il faudra y aller en douceur

Un jour nous irons marcher
mes enfants et moi au fond
d'une forêt ou le long d'une rivière
et nous tomberons sur un
de ces petits animaux orphelins
un écureuil une loutre un corbeau
un hérisson une tortue un renard
ou une musaraigne
il faudra alors que je prenne le temps
de leur expliquer que nous pouvons tenter
d'aider mais que d'une manière générale
la vie se porte toujours mieux loin de nous
que l'homme n'est pas
un cadeau pour le reste du monde

Thomas Vinau

 


Abeille

elle avait une fille
une adorable petite peste
qui me fixait du
regard en tournant sur
elle-même
c’était la mère et
de temps en temps
elle s’en souvenait et
lui disait arrête
mais à la place on entendait
c’est bien continue comme
ça mon ange 
ou bien on entendait
le père
au loin
debout dans sa cuisine
hurlant après
des mirages
ou bien on entendait rien
du tout
car tout ce qu’elle pouvait
dire à la gosse
lui rentrait par une oreille
et lui ressortait de l’autre
puis dégoulinait
sur ses épaules
ses hanches et le long
de ses petites jambes
comme du miel noir

Jean Marc Flahaut

 


Orosei

à trente-cinq ans lucia a
deux garçons et une fille
l'ainé est turbulent et braillard
au fond elle l'aime moins que les autres
il ressemble à son père
mais elle s'efforce de garder ça secret
lucia a un beau visage d'insulaire
parfois elle se dit que tout a été trop vite
si elle avait été assez solide pour
résister à la pression de la famille
elle aurait pu choisir une autre voie
et un autre homme à la place de paolo
comme cet étranger qui sur la plage aujourd'hui
la regardait intensément tandis qu'elle jouait avec
ses enfants au bord de l'eau

Daniel Labedan

 

 


Punta Falcone

entre deux îles s'étire un grand nuage
en forme de baleine blanche
puis plus rien
dissolu en un tas de méduses pourvues de longs filaments
ondoyants au dessus de Maddalena

à une heure du matin le vent se lève et se renforce
le maillot de Manchester United que tu m'as offert
les livres et les journaux abandonnés sous la tonnelle
sont emportés et finissent plus bas dans la colline
au-delà de l'obscurité brillent les lumières du village
et les feux de navigation des bateaux
qui vont chercher refuge au creux de la baie

Daniel Labedan

 


Is Arenas

longtemps je n'ai pas eu de maison
ma maison tenait dans une valise
et dans des cartons de disques en vynil
je trainais d'un endroit à l'autre
sans penser à me fixer
j'aimais les endroits gris
comme manchester ou belfast
ces années là furent anxyogènes
mais me procurèrent aussi des sensations fortes
et de belles consolations
à tout cela pourtant je n'aime pas repenser
je me suis mal conduit
j'ai manqué d'attention et de compassion
la satisfaction de mes désirs immédiats
m'a fait oublier que j'avais des choses à faire
pour la communauté
néanmoins il me reste du temps
je peux inverser le cours des choses

Daniel Labedan

 


Les gris profonds

 

 


Villa Verde

l'été certains parmi nous se remplissent les poches
aménagent des pâtures en terrains de camping
vendent des fruits des légumes du pecorino de la céramique
et des bijoux d'argent inspirés de motifs anciens
mon père n'est pas comme ça

il nous dit souvent qu'on vient d'une famille illustre
qu'on est cousins des Gramsci
et après il nous sort le couplet sur Antonio Gramsci
sur l'Ordine Nuovo
et sur le parti communiste sarde

mon père ne raconte que des histoires qui sentent le moisi
il trime et il raconte des histoires qui sentent le moisi
voilà tout ce qu'il fait
il ne veut pas voir que les temps changent
rate toutes les occasions de se faire du fric
bientôt je lui dirai
en le regardant droit dans les yeux :
papa je m'en vais sur le continent
je ne veux pas de la vie que vous me proposez
toi et tous ceux de Villa Verde
je veux un nouvel horizon
je veux bouger m'amuser et baiser
ne plus entendre les sonnailles des troupeaux
et vos couplets sur l'abandon des valeurs morales

Daniel Labedan

 

 


Villa Verde, II

je sais bien que le petit partira à la première occasion
il est jeune plein de fougue et pour l'instant
rien ici n'est à son goût ce que nous pensons
le monde que nous avons construit nous les anciens
tout ça parait contrarier ses aspirations
mais je ne suis pas inquiet
il changera après avoir travaillé sur le continent
pour se faire une place
il reviendra par ici nous voir
et retrouver les sentiers de son enfance

Daniel Labedan

 


Cagliari

j'ai amené avec moi des livres dont
un recueil de poèmes du siècle dernier
je le feuillette l'après-midi lorsque
la température élevée impose de rester à l'ombre
dedans il y a d'étranges étrangers
de jeunes seins
docteur Jonquille
et le 106 Boulevard de la Chapelle
bien sûr ce sont de vieux poèmes
avec des mots désuets
comme lampion ou garde-barrière
mais ils sont placés là où il faut
et c'est ce qui me plait

Daniel Labedan

 

 

 


Orgosolo

il y a des années de ça j'ai été choisie pour être
la reine au défilé de San Antonio
plusieurs garçons me tournaient autour
certains cherchaient juste l'aventure d'autres voulaient le mariage
Mario s'y est pris d'une façon personnelle
il m'amenait dans les monts de Barbagia m'apprenait à reconnaitre
le chant et les cris d'alerte des oiseaux et moi
je lui parlais des fleurs des arbustes
de leur propriétés bonnes ou mauvaises
nous coupions des plantes pour confectionner un herbier
d'ailleurs j'ai gardé cet herbier je l'ouvre parfois avec précaution
sa couverture est craquante comme une galette
ses pages ont jauni l'encre de mes annotations s'est éclaircie
mario voyait dans chaque forme le tout et les détails
avait le pouvoir de donner aux choses un caractère exceptionnel
ici à Orgosolo certains le prenaient pour un innocent
mais il ne l'était pas il était simplement un peu plus profond
que les autres et seul le groupe des peintres
avait de la sympathie pour lui l'un d'entre eux disait que Mario était
fils de bandit et plus grand poète analphabète inconnu du monde

Daniel Labedan

 


Is Arenas, II

sur le seuil d'une maison
d'aspect modeste
une grand-mère sarde
chante à l'oreille d'un nourrisson
je devine qu'il est question
d'amour, de sommeil
et de pays rêvé

Daniel Labedan

 


Porto Corvo

quand vient l'été Baptisti se pose Via Republicca
et regarde passer les jolies filles venues de Gênes Rome ou Milan
elles vont et viennent dans la ville sûres de leur beauté
et du désir qu'elles éveillent chez les ploucs d'ici
Baptisti ressent lui aussi fort et profondément
cette morsure il pense parfois à forcer
une de ces filles à venir passer un moment chez lui
s'effraie de sentir ce feu monter en lui
son ami artiste Francesco lui a dit :
Baptisti ces filles ne comprendraient rien
à ta manière de faire il vaut mieux que
tu laisses tomber
contente toi de regarder leur cul

mais pour Francesco la vie est facile
son travail lui ouvre les portes
des résidences sécurisées de Porto Corvo
là où les filles en bikini se donnent
pour oublier le temps qui passe

Daniel Labedan

 

 


S'éloigner

l'objet le plus ancien directement lié à mon histoire
et encore en ma possession
est un jeu de cubes pour enfant dans une boite en bois
le dessus de cette boîte présente un des modèles à reproduire
(le canard saturnin poussant une brouette bleue dans le jardin d'une maison cossue)
je jouais avec ces cubes lorsque j'allais en vacances
chez mes grands-parents paternels
puis mes grands-parents paternels sont morts
et les années sont passées parfois vite et parfois lentement
j'en ai pincé pour certaines filles et je les ai laissées sur la route
d'autres fois c'étaient elles qui me reprochaient
de ne pas être assez constructif et décidaient de partir
j'ai fait plein de petits boulots
commencé à écrire des textes courts et des poèmes
puis mon père est mort à son tour
j'ai retrouvé ce jeu sur une étagère élevée du placard de sa chambre
à côté d'un carton où étaient entassées de vieilles photos
et des lettres que je lui avais envoyées
j'ai jeté ces lettres parce que je ne souhaitais pas
me souvenir de ce qu'elles racontaient
j'ai embarqué les cubes
et vendu la maison pour acheter un bateau.

Daniel Labedan

 

 


Jeunesse

Pendant de nombreuses années, j'ai eu le sentiment que ma jeunesse était gâchée. J'ai passé mon adolescence à boire, prendre de la dope, voler et baiser à droite à gauche, alors que j'aurais pu apprendre à lire couramment Sappho et Thomas Mann dans le texte. Or, bien que j'ai toujours le sentiment qu'il serait merveilleux de lire couramment Sappho et Thomas Mann dans le texte, je n'ai plus l'impression d'avoir gâché ma jeunesse. Parce qu'avec l'âge vient la sagesse : au bout du compte, tout retourne à la poussière. La traduction de Sappho par Mary Barnard, avec les quelques notions de grec que je possède, Le Mirage de Mann traduit par William Trask : cela suffit à quelqu'un comme moi, qu'on donnait pour mort il y a longtemps déjà. Ma jeunesse, comme je vois à présent les choses, a été ce qu'elle devait être. Je suis vivant, et alors que j'écris ces lignes, l'aube radieuse de cette infinie bénédiction qu'est un nouveau jour, un nouveau souffle, m'envahit. À présent, je veux apprendre le tango, pour pouvoir danser avec grâce sur les tombes de mes pairs, qui tombent comme des mouches autour de moi, après des jeunesses, des vies, tout ce qu'il y a de plus convenables et saines. Mens sana in corpore sano, qu'ils disent. Mais un esprit sain dans un corps sain n'est rien d'autre qu'une simple et jolie fleur dans un simple et joli vase. Le monde est plein de ces phrases toutes faites. Mon cul, et prépare tes chaussures pour danser car, ayant survécu à ma jeunesse et à tout ce qui a suivi, j'apprécie à présent la folie plus douce des rives sur lesquelles j'ai été déposé, et j'attends avec impatience ce tango dans le cimetière, avec toi, ma douce, ou sur toi.

Chaldée, Nick Tosches, éditions Vagabonde 2008
Vous pouvez commander ce livre en cliquant ICI.

 


Un jour d'été

l'ombre d'un gecko dévala le mur
au loin les cloches sonnèrent
pour célébrer un mariage sans doute
j'ai dit que j’avais réparé la tondeuse
tu m’as répondu en souriant
je suis fière de nous 
de tout ce que nous avons fait ce matin

et le reste de la journée
a filé tranquillement comme une libellule
le long de la rivière

Thomas Vinau

 


Aveyron

C'est l'heure où le grand pin
dans le soleil couchant
pendant quelques minutes
prend une teinte flamboyante
chaque soir j'attends cet instant
et je te dis
regarde, c'est l'heure de l'arbre rouge
alors tu te tournes vers lui
aujourd'hui c'est toi
qui m'a fait remarquer l'arbre
je l'avais oublié
préoccupé que j'étais
d'avoir à te quitter bientôt
effectivement
l'arbre rougeoyait une fois de plus
puis le soleil s'est couché
et plus tard au lit
serré contre toi
je t'ai caressé les cheveux

Patrick Palaquer

 

 


Majestic

j'attends ange dans une chambre d'hotel
quand elle poussera la porte
j'éteindrai la lumière
notre convention précise que nous devons
nous découvrir dans la pénombre

la chambre est exigüe et fonctionnelle
le rideau qui obture la fenêtre
cache un paysage de voies ferrées et d'immeubles
mais cela n'a pas d'importance
aujourd'hui nous ne verrons rien de l'extérieur

j'ai eu très peur avant d'arriver
sur le lieu de notre rendez-vous
je me suis demandé si nous
ne perdions pas complètement la tête elle et moi
puis je me suis apaisé pendant que je l'attendais
allongé sur le lit
j'ai mâché un chewing-gum pour
me garantir une haleine agréable

elle ne devrait pas tarder maintenant
je n'ai pas pensé à ce que j'allais lui dire
je n'ai rien préparé sauf
mon doigt sur l'interrupteur prêt
à éteindre le plafonnier
mon ventre fait des gargouillis
j'écoute les allées-venues dans le couloir
les bruits dans les chambres voisines l'aspirateur
qu'une femme de chambre passe au-dessus
je crois qu'elle arrive
non
si

Vlam Chevodisky

 

 


Au soleil

Son maillot ne tient qu'à un fil et
le carrelage brûlant garde
l'empreinte de ses pieds nus
pendant que 3 gouttes dévalent
l'intérieur de ses cuisses
il la regarde intensément
elle sourit et ses yeux disent
ce coup-ci je ne marche pas dans ton petit jeu

Thomas Vinau

 


Un grand écrivain
devient un grand écrivain

dès lors qu’il sait
recycler
les idées d’un autre
sans se faire piquer
voilà
le secret
il sait ça
mieux que personne
alors
il reprend le livre
là comme ça
dans sa main
puis il l’ouvre en plein
milieu 

et il fait semblant
de lire ce qu’il lit
car en réalité
chaque phrase
est imprimée dans
son cerveau
comme l’adresse
d’une maison en flamme

il insiste un peu
et finit par reposer le livre
qui se consume sur le sol
et il se déglingue de partout
et il s’avoue vaincu
une fois encore

Jean Marc Flahaut

 


Construire un mur

un mot de plus et
il la giflait
à cette idée il prit peur
quitta l'appartement et marcha au hasard
alluma une cigarette entre ses doigts tremblants
et se demanda comment son couple avait pu en arriver là
lorsqu'il revint plus tard devant chez lui
les lumières étaient éteintes
il n’entra pas
regarda longuement la fenêtre de leur chambre
essayant de discerner un mouvement dans l’obscurité

Patrick Palaquer

 


Salut la compagnie

Lorsqu'il avait quatre ans à Albuquerque
James Douglas Morrisson avait un chien
un grand chien noir affectueux que
ni ses parents ni ses grands-parents
ni même le pasteur ne voulut garder
aussi son père Steve Morrisson officier de la Navy
l'attacha au grillage de la base militaire et l'abandonna là
avant de déménager dans un autre Etat
huit ans après
de retour à Albuquerque
James Douglas Morrisson se mit
à élever des lézards
il détestait les chiens
détestait la cantine du collège Eisenhower
détestait son père

Thomas Vinau

 


Un poème pour Catfish McDaris

il claque la porte de son
appartement
en oubliant les clefs
à l’intérieur
et devine instantanément
la suite

à la porte du voisin
il frappe sans succès
seuls les aboiements
d’un chien résonnent un étage
plus bas
puis plus rien

en cherchant bien
il trouve un peu de lecture
dans les escaliers
une double page avec Van Morrison
arrachée dans Rolling Stone
il se surprend à trouver ça
intéressant
Van et ses illuminations mystiques
en fumant
plusieurs cigarettes l’une sur l’autre

le serrurier arrive enfin
deux heures plus tard
il demande ce qu’il va
trouver à l’intérieur
c’est juste pour vérifier
que c’est bien votre appartement
dit-il
rien de plus normal
à ça
plus tard
dans la soirée ses pensées
s’égarent tandis qu’il cuisine
il faudrait que je parle de
cette journée à Catfish
songe-t-il
il serait même fichu d’en faire
un poème

car chacun sait
que dans certains cas
il est
techniquement
possible de converser avec
les morts

Jean Marc Flahaut

 


Un cadeau

pas longtemps
quelques minutes
couchés dans l'herbe
l'un contre l'autre
à regarder sous la jupe
des arbres

Thomas Vinau

 


7 octobre 1969

la question de savoir si ma révolte est juste ou non ne se pose même pas
personne ne peut vivre dans la crainte de se faire arrêter
à cause de son sens critique
de son envie d'avoir un peu plus de latitude pour envisager l'avenir
ou de ses préférences en art
or c'est précisément ce qui se passe aujourd'hui dans mon pays

un ami a dégoté via la Suède
un disque d'un groupe nommé The Velvet Underground
je n'avais jusqu'à présent jamais rien écouté de semblable
ni même imaginé qu'une telle musique puisse exister
après certains morceaux je me suis senti vraiment différent
plus fort
plus déterminé

Vlam Chevodisky

 


21 juillet 1967

j'ai essayé de m'enfuir hier
mais des villageois qui m'avaient aperçu ont téléphoné aux autorités
et les policiers m'ont repris dans une forêt de frênes
une fois réincarcéré j'ai dû m'allonger
sur le ventre au milieu de la cour bras et jambes entravés
les autres prisonniers ont été forcés de me frapper chacun à leur tour
ainsi ai-je reconnu ceux qui approuvaient le régime
et ceux qui étaient de mon côté
après un coup à la tempe j'ai perdu connaissance
et me suis réveillé des heures après avec à l'esprit
l'image de grand-père Janosh au bord
de la rivière à Kamien Pomorski

Vlam Chevodisky

 

 

 


Dernier fragment

Et avez-vous obtenu ce
que vous vouliez dans cette vie, malgré tout ?
Je l'ai obtenu
Et que vouliez-vous ?
Que l'on me donne le nom d'aimé, me sentir
aimé sur cette terre.

Raymond Carver, A new path to the waterfall, Harvill 1990
(traduction Victoire Renou)

 

 



What's more, Toysession

 


Ce que le docteur a dit

il a dit ça ne se présente pas bien
il a dit ça se présente mal en fait vraiment mal
il a dit j'ai compté trente-deux d'entre elles sur un poumon avant
d'arrêter de les compter
j'ai dit je suis content je ne voudrais pas savoir
qu'il y en a plus que ça à cet endroit-là
il a dit êtes-vous un homme de foi vous agenouillez-vous
dans les sous-bois et vous autorisez-vous à appeler à l'aide
quand vous rencontrez une chute d'eau
et que la brume souffle sur votre visage et vos bras
vous arrêtez-vous pour demander de la compassion à ces moments-là
j'ai dit pas encore mais j'ai l'intention de commencer aujourd'hui
il a dit je suis vraiment désolé il a dit
j'aimerais avoir d'autres nouvelles à vous donner
j'ai dit amen et il a dit quelque chose d'autre
je n'ai pas saisi et ne sachant pas quoi faire d'autre
et ne voulant pas qu'il ait à le répéter
je l'ai juste regardé
une minute et il m'a regardé à son tour alors
j'ai sauté sur mes pieds et serré la main de cet homme qui venait de me donner
quelque chose que personne sur terre ne m'avait jamais donné
j'aurais même pu le remercier l'habitude étant si forte

Raymond Carver, A new path to the waterfall, Harvill 1990
(traduction Victoire Renou)

 


L'autre côté

un jour princesse tu marcheras dans la rue avec assurance
et un étudiant te bousculera tu comprendras
alors en une fraction de seconde que tu es passée de l'autre côté
de la barrière et que les choses seront désormais moins faciles pour toi
tu te retourneras pour crier vous pourriez vous excuser
mais le jeune type sera déjà loin ce jour-là je t'attendrai
dans la maison au bord de la mer à tes yeux je serai enfin
la seule personne qui comptera au monde

Daniel Labedan

 


Treize fois au tapis

Ethan a perdu
treize combats sur dix-huit
il est fini
même sa mère ne mise plus sur lui
s’il ne passait pas
tout son temps
à dessiner des silos à grains
grommelle son père
dans sa barbe

Thomas Vinau

 


Sean, ne me prends pas
pour une idiote

Sean, je t’écris cette lettre
pour te dire que
je pense que tu n’es pas mort
le jour de ta disparition
tous tes amis sont venus
ils ne comprenaient pas
ce qui avait pu se passer
ils disaient
ce cher Sean
a brûlé la chandelle
par les deux bouts
j’ai eu peur de paraître folle
alors je n’ai pas dit que ta villa
sur la plage avec ses volets bleus
était éclairée la nuit
où l’alerte a été donnée

Olivia Profizi

 

 

 


Lent & humide

Il a plu toute la nuit
mais le matin est ensoleillé
et clair ce matin Simon Cazazza tond son pré
est tout entier dans son rapport à l’herbe
contourne quelquefois un escargot
ou une pousse de framboisier
très vite ses vêtements se couvrent
de confettis verts et humides
l'odeur prend le dessus
sur la lumière il ralentit
longe le fossé s’applique pour
ne pas terminer trop vite

Thomas Vinau

 


La pièce justificative

j'ai remis ma fiche
de non-imposition
à la fille de la banque
elle s'est mise à me parler
comme on parle aux malades
s'est ébrouée sur son strapontin
en tamponnant la fiche
ses nombreux bracelets
ont tinté comme des clochettes
une fois que nous en avons eu fini
elle a repris sa voix habituelle
et je suis sortie au soleil

Catherine Franghias-Gaspérini

 


Isolement

Lucien marcha longtemps dans les rues
pour se changer les idées
il prit à droite après l'atelier Atlantico Shapes
et monta vers la dune
cette ville était vraiment laide
mais ce n'était pas important
il décida cette fois
de voir le bon côté des choses
du sable saharien porté par le vent
déposait un film ocre sur les voitures et les toits
l'air était orangé et les villas désertes
sur la plage un chien maigre vint chercher
une marque d'affection auprès de surfeurs
qui l’éloignèrent en lui jetant des poignées de sable
et des bouts de bois
plus loin des bécasseaux-sanderling trottinaient près du ressac
arrivé à leur hauteur Lucien s’assit et regarda
un moment exploser les vagues.

Daniel Labedan

 


Deux façons de rentrer

1.
Traverser les trois combes
jusqu'à la balançoire en pneu
accrochée au chêne
tourner à droite
accélérer le pas
devant la cabane piégée
du père Cubi
jeter quelques cailloux
dans les nids de guêpes
faire un détour par la falaise
pour vérifier si les fourmis en ont fini
avec la carcasse du chien errant
puis descendre la colline en courant
avant que l'orage n'éclate

2.
J'ai mal à la tête
trois lycéennes marchent devant moi
je les suis un petit moment
jusqu'à l'arrêt du tram
l’une ne rit pas
et c'est à elle que j'invente un prénom
en regardant la ville défiler par la vitre
(il faut que je pense à acheter
du lait pour la petite)

Thomas Vinau

 

 


De sang-froid

cette fille
derrière la porte
n’est vraiment pas grand chose
c’est le vent sur la plage
qui fait tourner les pages
d’un mauvais polar
avec ou sans elle
on devine déjà la fin

Jean Marc Flahaut

 


Arrondir les angles

l’homme se tenait
nu devant la fenêtre
tirait de longues bouffées de sa cigarette
avec des gestes
lents
la fille dans le lit pensait
qu’ils se connaissaient à peine
et c’est exactement
ce qu’elle lui dit
il se moqua d’elle

elle s'imagina debout
avançant pour jeter sa nudité
à la figure de ce minable
avant de l’envoyer s’écraser
sur le bitume

mais en définitive elle tira le drap
qui la recouvrait en se disant
qu’au fond remettre ça était encore
ce qu’il y avait de mieux à faire

Olivia Profizi

 


in love

R. me confie qu'il est en train de tomber amoureux d'une femme
je le connais bien depuis l'enfance et je sais
qu'il imagine trop de choses
il repeint sa vie comme un gamin barbouille un dessin en classe
en fait il n'ose pas se déclarer à cette femme
préfère nager entre deux eaux sans faire de vagues
il manoeuvre comme un manche
ce n'est pas vraiment sa faute
en amour en général on manoeuvre tous comme des manches

Patrick Palaquer

 


Sex appeal

je ne sais pas ce que tu trouves
à ce type à part son fric
il est aussi sensuel qu'un serpent
ses lèvres sont trop fines
et lui donnent l'air d'un pervers
il est taillé comme un bâton de sucette
et blanc comme un cachet d'aspirine
ou plutôt non il est carrément rose
on dirait une asperge rose
voilà ce qu'on dirait
je ne sais pas où tu l'as dégoté
mais ça n'est sûrement pas dans
un magazine de mode
je te propose un deal jenny
tu te maries avec cet abruti
tu profites de sa monnaie
et on continue en parallèle
à se propulser au septième ciel
d'accord ?

Vlam Chevodisky

 


Longboard

il n'y a pas grand monde dans les rues de ce bled
des retraités descendus d’autobus
pour se dérouiller les articulations
et quelques péquenots venus
d'europe du nord en camping-car
cette semaine loin de toi me parait très longue
et ce pays sablonneux me fiche
un bourdon carabiné
princesse ces jours-ci les vagues
ne sont pas bonnes pour la glisse
les surfers locaux ne sortent pas
ils restent tous au maeva club
regardent des documentaires sur l’Australie
ou se racontent des bobards pleins
de spots mythiques
je te le dis c'est vraiment la mort

Vlam Chevodisky

 


D'autres fantômes

dans le bus ça sent le vestiaire et le clochard
le sol du bus est glissant recouvert d’une boue noirâtre
la lumière fonctionne par intermittence – le clignotement est désagréable
plus tard
je suis assis sur le canapé
par la fenêtre je vois du noir – le ciel est trop pollué pour laisser passer
la lumière des étoiles

Christophe Siébert

 


Quand tu n'es pas là

un technicien de Darty
est venu tout à l’heure
j’avais un problème
de machine à laver
il m’a dit
que j’utilisais
trop de lessive
j’ai répondu
oui la mousse me rassure

plus tard il a noté deux ou trois choses
sur sa feuille pré-imprimée
et j’ai pensé
en lui disant au revoir
à ses yeux bleu-profond
au dessus de son polo rouge

Cécile Thibesard

 

 


La promesse

il est tard
ne reste plus qu’un seul métro
après terminé
elle me serre la main très fort
-promets le moi dit-elle
-promettre quoi ?
-tu vas lire le journal
demain
et après-demain
pour vérifier que je suis bien
rentrée chez moi
qu’on ne m’a retrouvée ni
morte ou violée
quelque part dans une cave

d’ordinaire
je ne lis pas le journal
mais dans la vie
il faut parfois faire des exceptions
alors je promets

-je vais lire le journal demain
-et après-demain
-et après -demain
-pour vérifier que je ne suis pas morte
-pour vérifier que tu n'es pas morte
-merci chaperon
-sauve toi maintenant

Jean Marc Flahaut

 


Avoir une vie ordinaire est une chance

à seize heures vingt-sept la nuit commence à tomber
à seize heures quarante-cinq il fait nuit
je quitte le travail
le vigile n'est plus là
la fille de l'accueil n'est plus là
la femme de ménage me dit bonsoir
et je lui réponds bonsoir
ça sent le détergent
la rue est sale et humide
les lampadaires se reflètent sur les trottoirs mouillés
la brume est revenue – un peu

Christophe Siébert

 


Deuxième mouvement

Tu as saisi mon visage
et tu as dit
mais tu es belle
je le savais

puis tu m'as laissée mélanger
la salade
avec pour fond sonore
ta dernière composition
tu as sorti des photos de tes enfants
et tu as ajouté autre chose
que je n'ai pas voulu entendre
parce que ce soir là
il me suffisait d'être belle
et de manger
la salade
avec les doigts.

Catherine Frangias-Gaspérini

 

 

 


Europa Tour

tu m'as connu
au plus bas
tu m'as amené au plus haut
sous ce soleil de Rome
j'ai oublié
à quel point
j'allais mal
dans cet hôtel à Venise
je me suis senti renaître
la nuit nous nous perdions
dans le dédale des venelles
mais j'étais à ton bras
souriant
et puis ce fut Paris
au bar-tabac
en bas de chez toi
le dernier café que nous avons pris
j'ai écrasé ma cigarette
en te regardant t'éloigner

Patrick Palaquer

 

 


C'était trop tôt mon chou

je n’ai pas rêvé
il y avait un être
vivant
que nous avions créé
sans nom et sans visage
mais avec une histoire
pourtant je me suis retrouvée
le ventre vide
samedi vingt-six avril
à Malo

Olivia Profizi

 


Un pays révélé

je ne suis là pour personne
je suis fatigué
je suis fatigué comme jamais auparavant
je ne suis constitué que de ça
j’ai un goût de poussière dans la bouche et la gorge
l’air que je respire à une odeur de poussière
je crois qu’en fait ça vient de moi
qu’en réalité l’air est pur
comment pourrait-il en être autrement

Christophe Siébert

 


Stella ne dit plus rien

avant de te connaître j’avais
à l’esprit sans le savoir vraiment
l’image d’une femme idéale
mes aventures précédentes
ne m’ont jamais procuré une grande satisfaction
à chaque fois quelque chose manquait
ou bien clochait
sauf avec toi stella

au début je ne savais pas
comment les choses allaient tourner
tu me semblais très passionnée
j’avais un peu peur de tes débordements
puis après trois années les choses
se sont inversées
tu as commencé à te poser des questions
à te demander si nous deux
ça en valait la peine
et moi je suis devenu peu à peu
comme un vieil animal domestique
pitoyable et gênant

Daniel Labedan

 


Je suis toujours ton amante

mes moments préférés avec toi
sont ceux que nous volons au quotidien
ces quelques heures
en plein dimanche après-midi
où nous allons simplement
marcher dans les rues vides
et boire un chocolat chaud
dans la seule brasserie ouverte
avant d’aller choisir des films
que nous regarderons
une fois la nuit tombée
et les enfants couchés

Cécile Thibesard

 


Adieu aux années de nacre

« c’est comme si les enfants 
étaient entre nous maintenant »
avait-il dit un soir
au cours d’une de nos disputes
j’ai repensé à ses mots
l’autre jour
en trouvant
sous le lit de notre fils
mon collier de perles de mariée
en mille morceaux

Cécile Thibesard

 


Un projet

ces jours derniers j'essaie d'écrire
sur toi et sur ta façon de dire "vas te faire voir"
il y aurait plein de choses à écrire
sur ces deux sujets
je pourrais commencer
par une scène où tu jetterais
gracieusement tes fringues
où tu te retrouverais nue
en deux temps trois mouvements
où tu murmurerais dans un souffle
"fais vite enlève ça"
je pourrais terminer sur moi
humant le panier de linge sale
pour y retrouver ton parfum
cherchant vainement une trace de ton passage
dans l'appartement
sûr que je vais écrire tout ça
même si au final ce bouquin
ne vaut pas un clou

Vlam Chevodisky

 


Samedi matin

1
le bruit de la machine à laver le linge
étrangement me rassure
je devrais peut-être
en parler à un psychanalyste
2
un jour mon père
a quitté la maison
depuis nous allons le voir en métro
un week-end sur deux
il habite un petit deux-pièces
dans le centre de Paris
nous prépare du riz Uncle Bens
en écoutant la radio
et dort dans le salon
pour nous laisser sa chambre
je ne sais pas pourquoi
je repense à tout ça ce matin
en épluchant des pommes

Cécile Thibesard

 


Fais moi voir tes poèmes

fais moi voir tes poèmes
dit-il
et je lui en montre un
que je viens de terminer

il inspecte chaque phrase
dans le moindre
détail

on dirait une démonstration
gratuite
pour un détachant quelconque

très drôle
dit-il et maintenant
fais moi voir tes poèmes

Jean Marc Flahaut

 

 


Rentrer & sortir

j’avais apporté un cadeau
pour l’ anniversaire de S.
elle habitait chez sa mère
qui était rarement là
j’ai sonné
S. m’a ouvert en peignoir
elle sortait juste de la douche
dans le salon
assis dans le canapé
il y avait un jeune type
aux cheveux longs
qui souriait
je l’avais déjà vu quelquefois
dans des soirées
j’ai offert le cadeau
S. a eu l’air contente
elle s’est habillée
puis ils sont partis tous les deux
je me suis assis dans le canapé
le soir tombait
je suis resté dans la pénombre
au loin on voyait le cimetière de Gentilly
elle m’avait dit
tu claqueras la porte en partant
c’est ce que j’ai fait

Patrick Palaquer

 


Chambres avec nombres

la neige tombe derrière la fenêtre de l’hôtel
il aime se sentir clandestin
dans sa propre ville
il dit : gardons notre façon de faire
nous aurons des lieux neutres
des chambres avec des nombres
changeants
elle ne dit rien
la couleur du ciel
la moquette rugueuse sous ses talons
la vapeur d’eau qui s’échappe
de la cabine de douche
comme à chaque fois
elle se concentre sur chacune de ces choses
afin de ne rien oublier.

Olivia Profizi

 



Avant / après

Avant Emilie
l’amour était la chose
la plus fastidieuse
de la terre
Une sorte de partage
complexe
dont je ne trouvais jamais
l’exacte formule
Finalement
notre rencontre m’a littéralement
simplifiée
la vie

Thomas Vinau

 


Still life

j’ai retrouvé
un vieux cadavre exquis
entre les plis du papier
on peut lire ton écriture
et la mienne
je ne me rappelle pas cet épisode
et toi non plus
mais une chose est sûre
il y a eu dans notre vie
un moment où nous trouvions
l’envie et le temps
de faire
ce genre de choses

Olivia Profizi

 

 


Sparkler

en mettant mon pyjama, je pense aux cierges magiques
on les appelle aussi fontaines des glaces
si ma mémoire est bonne
ces tiges métalliques couvertes de silicium et de limaille de fer
qui étincellent sur vos gâteaux et font
pétiller vos anniversaires je ne me rappelle pas
la dernière fois que j’en ai vu ni dans laquelle des maisons
de la famille ça se passait ni à quelle occasion
quelqu’un avait allumé le bâton avec son briquet ce jour-là
je ne me doutais pas que j’en voyais pour la dernière fois
des cierges magiques je n’avais aucune raison de l’envisager
ni même de faire plus que regarder les étincelles
ruisseler sur le coulis de chocolat les fleurs en pâte d’amande
nous étions tous assis autour des cierges magiques comme
une chanson adhésive sans penser véritablement
aux cierges magiques mais c’était il y a tant d’années
et nous n’en avons jamais revu
ainsi que ça m’apparaît aujourd’hui tandis que j’enfile
mon pyjama avec cette intuition très forte, que jamais
je n’en reverrai que jamais nous ne serons à nouveau assis tous
ensemble autour de cierges magiques je m’aperçois que c’est
un truc qu’on peut sentir, quand l’ère des cierges magiques
a pris fin
je ne m’en serais peut-être jamais rendu compte si je n’avais pas
ce soir enfilé ce pyjama et alors sans doute serais-je morte
un jour sans avoir repensé aux cierges magiques une seule fois
depuis la dernière fois que j’en ai vu, je ne sais plus trop quand

Fanny Chiarello

 


Un projet

Neil Adams Jr.
d’Astoria
Oregon
avait l’air idiot et
l’air intelligent
en même temps
il passait ses journées
affalé dans un fauteuil
à écouter toutes sortes de groupes
avec des noms à rallonge
quand on lui demandait
ce qu’il avait envie
de faire plus tard
il répondait
« je veux être comme ce type
là bas. »
et il y avait toujours
un vieux barbu
pour lui faire signe
à l’autre bout de la marina

Jean Marc Flahaut

 




The quiet death silences, Bjonnh

Wonderland

une vieille femme surnommée Blimpsy
était restée cinq jours durant
dans la galerie commerciale
elle dormait dans une cabine d'essayage
au fond du supermarché
se lavait et se maquillait
dans les toilettes communes
errait la journée dans les allées
rêveuse et effacée
mangeait des choses
qu'elle prenait dans les rayons
au hasard de sa virée

quand les services de l'aide sociale
sont venus la chercher
elle s'est débattue avec énergie
a dit
je suis là pour faire mes courses
il n'y a rien de mal à ça
je suis dans un pays libre
laissez-moi

Vlam Chevodisky

 


Music-box

un reste de café au fond
de la tasse vide dessine
un smiley dans le genre de ceux
qu’on voyait durant les années quatre-vingt
sur les cachets de méta-amphétamine
il est dix heures quatorze
dans son bureau Tim sent monter en lui
l’envie de faire un geste
stupide comme onduler
du bassin contre la photocopieuse
tout en chantonnant Smack my bitch up

Thomas Vinau

 

Schoolsville

Lorsque j'observe le passé par dessus mon épaule,
je réalise que le nombre de mes étudiants
fut assez grand pour peupler une petite ville.
Je peux la voir nichée sur un paysage de papier
La poussière de craie tombe l'hiver,
les nuits y sont aussi sombres qu'un tableau noir.
Les gens vieillissent sans obtenir de diplôme.
Par de chaudes après-midi, ils bûchent l'examen de fin d'année dans le parc
et quand il fait froid ils grelottent autour des poêles
en lisant des dissertations mal construites à haute voix.
à l'heure juste une cloche sonne et tout ce monde zigzague
dans les rues avec ses livres.
J'ai oublié leurs noms de familles mais leurs
prénoms me restent en mémoire par ordre alphabétique.
Le garçon qui levait toujours la main
est conseiller municipal et tient une mercerie.
La jeune fille qui signait ses exercices au rouge à lèvres
s'appuie contre la devanture du drugstore en fumant et
en brossant ses cheveux de façon machinale.
Leurs résultats sont brodés sur leurs vêtements
tels des références à Hawthorne.
Les A se baladent avec les autres A
les D klaxonnent quand ils croisent d'autres D.
Les étudiants de l'atelier d'écriture créative s'allongent
sur la pelouse du palais de justice et jouent du luth.
Où qu'ils aillent, ils forment un grand cercle.
Pas besoin de le préciser, je suis le maire.
Je vis dans une maison coloniale blanche à l'angle de Maple et Main.
Je la quitte rarement. La voiture dépérit
dans l'allée. Sous la véranda des sarments de vigne s'enroulent
autour du rocking-chair.
Il arrive qu'un étudiant frappe à ma porte
pour me remettre un examen de fin de trimestre quinze ans trop tard,
m'interroger sur Yeats ou sur les doubles-interlignes.
Une autre fois l'un d'entre eux se poste derrière la fenêtre
et me regarde faire la leçon au papier mural,
interroger le chandelier, réprimander l'air.

Billy Collins
The apple that astonished Paris, Pittsburgh University Press, 1988.

 


Un coup de swing




Mètché dershé, Mulutu Astakté
Les Ethiopiques Volume 4, Buda Records


Après le couloir

J'accuse les membres du jury. Le juge, le procureur qui ont utilisé la tromperie pour obtenir ma condamnation. J'accuse chacun d'entre eux, et j'accuse aussi chacun d'entre vous d'être responsable de la mort d'un innocent. Ainsi que tous ceux de la Cour Fédérale, de la Cinquième Chambre et de la Cour Suprême. Vous aurez à répondre de votre acte devant le Créateur, et il vous révèlera que vous avez exécuté un homme innocent. Puisse Dieu vous accorder sa miséricorde. Tout mon amour va à mon fils, ma soeur, Nancy, Kathy, Randy et mon futur petit-fils. (...) Pardonnez mes péchés. (...) Vas-y gardien, tue-moi. Que Jésus m'amène en sa demeure.

Derniers mots de Roy Pippin, jugé pour kidnapping et assassinat, condamné à mort par l'Etat du Texas, exécuté le 29 mars 2007

Dieu les pardonne, Dieu les pardonne car ils ignorent ce qu'ils font. Après toutes ces années mon peuple se perd encore dans la haine et la colère. Dieu donne-leur la paix, donne la paix à ceux qui cherchent une vengeance à travers moi. Je vous aime les gars, je vous aime les gars. Dieu donne-leur la paix. Je t'aime Chiquita. Paix, liberté, je suis prêt.

Derniers mots de John Joe Amador, jugé pour meurtre et condamné à la peine de mort par l'Etat du Texas, exécuté le 29 aout 2007 à l'âge de 32 ans.



Fiche pénitenciaire de Roy Pippin (détail)


 

Sous le pont

nous nous sommes rencontrés
l’an dernier
chez Pete
en face du River Cafe
vous partiez faire une
livraison avec votre fils
quelque part dans Brooklyn

je vous ai dit
que j’étais professeur de littérature
et je vous ai menti
je travaille comme bénévole dans
une association
qui recueille les chats abandonnés
près des entrepôts

pour moi ça ne change rien
j’attends de vos nouvelles

comme promis

J.M. Flahaut

 


Avant le jour

il est six heures douze
et vanessa est allongée sur ma poitrine
entre mes bras
je ne dors pas
elle ne dort pas non plus
je ne pense pas à grand-chose
et j’ignore à quoi elle pense
elle est triste je crois
je ne suis pas assez réveillé pour lui remonter le moral
je sens battre ses cils contre ma clavicule

Christophe Siébert

 


Zone humide

Au bout de la route
il y a d’autres routes
des marécages
des joncs
des moustiques
le soleil aplati et tout

ça fait du bien
de voir loin.

Thomas Vinau

 


Le réel à Ciudad Juarez

Dans la ville-frontière
de Ciudad Juarez
les services de la procureure spéciale
Alicia Perez Duarte
dénombraient déjà en 2003
379 meurtres
avec scénario identique
enlèvement / torture et sévices sexuels pendant
plusieurs jours / mutilations / strangulation
les victimes étaient des femmes
brunes et minces
parfois des fillettes
en 2007 les assassinats n'ont pas cessé
les enquêteurs sont incompétents
ou bien s'en fichent
ces femmes
venaient d'un milieu pauvre
et sans pouvoir
travaillaient comme ouvrières
dans les usines d'assemblage
ou servaient dans des restaurants
leur disparition ne change pas
la face du monde
de loin en loin
on découvre des corps
dans un champ de coton
dans le désert
ou ailleurs

Daniel Labedan

 

Six des disparues de Ciudad Juarez :
1 Alma Margarita Lopez Garza 2 Dinora Gutierrez 3 Julieta Marleng Gonzalez Valenzuela   4 Marisela Guerra Carrillo 5 Liliana Elizabeth Montejano Sanchez 6 Ana Lidia Barraza Calderon

 

 

Définir son environnement

Les machines de vulcanisation portaient des noms comme Berstorff, Spirka, etc. Des fumées noires s’en échappaient en permanence. On prenait tout directement dans le nez, les hydrocarbures et toute la chimie du caoutchouc en poudre volatile, tous les solvants avec la tête de mort peinte sur les récipients, le toluène surtout, tandis que les chefs restaient dans leur aquarium en plexiglas et nous fixaient avec une sorte de haine froide. On se foutait ouvertement d'eux, et il nous arrivait d'en menacer un avec un cutter ou une clé dynamométrique parce qu'il avait fait du zèle. Tout autour de nous était noir et dégueulasse. Les anciens avaient de la suie qui leur ressortait par la bouche sous forme de petites boules, ils allaient cracher ça de temps à autre dans l'intermix, une espèce de décharge à ciel ouvert.

Philippe Nollet

 

 

 

ces gens qui passent dans les rues / je les aime comme on se tue / à la fin d'un jour sans poème / ou sans plus de train dans la gare
(avoir été, Jean-Claude Pirotte, éditions Le taillis pré, 2008)

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#5

 


Je chante les causes perdues et crains celles qui ont triomphé.

W.B. YEATS

 

Cinquième work-in-progress de la revue. Chaque texte, chaque poème, chaque photo que vous nous enverrez participera à la définition d'un esprit à la fois particulier et universel. Nous attendons de vous, lecteurs, des créations qui comme à l'habitude doivent se présenter sous forme de pièces jointes adressées par email à notre adresse. Cependant nous nous réservons la possiblité d'accepter ou de refuser les travaux qui nous parviendraient.

 


Vers le numéro en cours
Les Etats Civils n° 1

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Les Etats Civils n° 6

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Trois nouveaux livres d'auteurs du site paraissent en 2008. Pour commander l'un ou l'autre il vous suffit de cliquer ci-dessous :

Fanny Chiarello, Collier de nouilles
Jean Marc Flahaut, Spiderland
Daniel Labedan, Transatlantique

 

 


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mise en ligne : Daniel Labedan

 




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