depuis trois jours hirokasu
est sans nouvelles de yuko
ni texto au milieu de la nuit
ni visite à l'improviste au petit matin
comme elle en a l'habitude
ce soir il va sonner à la porte de son amie
et comme elle ne répond pas il se décide
à utiliser la clé qu'elle lui a confiée
toutes les lumières sont allumées
dans l'immense appartement où yuko vit seule
depuis le départ de ses parents aux états-unis
hirokasu enjambe les vêtements
éparpillés dans le couloir
ouvre les portes de toutes les pièces
finit par trouver yuko en petite culotte
appuyée devant la machine à laver
comme absente
il la prend dans ses bras
l'aide à s'habiller
l'emmène chez lui
et lui prépare une soupe miso
ces derniers temps
hirokasu se sent de plus en plus impuissant
face à la détresse de son amie yuko
il a l'impression que son affection
ne parvient pas à la réconforter réellement
la semaine dernière elle lui a dit si je disparaissais personne ne s'en apercevrait
mes parents se demanderaient juste pourquoi
leur dernier chèque n'a pas été encaissé
tu as de la chance hirokasu
chez toi c'est tout petit mais les murs sont recouverts
de dessins de ta petite soeur de lettres d'amis
chez moi c'est juste grand et blanc
Cécile Thibesard
Les nouveaux délits
(...) J'ai de plus en plus de mal à supporter que tout tienne sur un petit espace plat et carré. Le net est un outil, rien de plus. Un outil très perfectionné, très performant et qui permet de se rencontrer vous et moi alors que dans la vraie vie peut-être ne nous serions-nous jamais rencontrés, mais dans la vraie vie, quand on se rencontre, on ne peut pas aussi facilement se cliquer dessus, s'ignorer, se supprimer, se rendre invisible, s'éteindre, fermer la page.
Ceci n'est pas un message destiné à encourager les abonnements, je suis bien sûr ravie d'avoir des abonnés, mais comme je fais tout moi-même, si j'en avais trop des abonnés, ça deviendrait véritablement pénible. Aussi je vous encourage plutôt à faire vous aussi des choses dans la vraie vie, des objets que l'on peut toucher, regarder, aimer. Je vous encourage à aller vers les autres, car oui, cela devient de plus en plus difficile et la facilité de la communication virtuelle est trompeuse. En vérité, regardez, vous êtes seuls devant un écran... Et je ne vous vois pas, et je ne peux donc pas vous sourire et encore moins vous toucher. (...)
Cathy Garcia, présentation de la revue Nouveaux délits, juin 2009
Japanese spy
pendant qu’Hiroto s’habille
Mika regarde son dos
songe qu’elle aime tout particulièrement
caresser cette partie du corps de son amant
puis allongée et nue entre les draps
elle joue avec la télécommande
fait défiler les programmes sur l’écran
pour briser le silence qui suit la séparation
seule maintenant dans la chambre
plongée dans la pénombre
Mika se lève prend une douche
s’habille en observant
les tremblements du photophore
d’un souffle éteint celui-ci
et quitte l’hôtel
dans le métro aérien
le visage tout près de la vitre
elle aperçoit des détails des couleurs
derrière les fenêtres éclairées des immeubles
imagine des familles évoluant
dans leur espace familier
revenue chez elle Mika
prépare des nouilles harusame
en écoutant les informations à la radio
se prend à rêver d’un post-it sur le frigo
qui dirait : à ce soir ma chérie
je ramènerai des gâteaux
ningyo yaki
pour la fin du diner
Cécile Thibesard
illustration Romain Slocombe in Tokyo girl, éditions Magic-strip, 1985
Les jeunes parents
dans la chambre d'à côté
elle tousse et ne parvient pas
à trouver le sommeil
la présence de son doudou
nos paroles apaisantes
nos baisers n'y changent rien
elle n'a pas de fièvre
mais nous ne savons pas
si le chauffage est à la bonne température
s'il faut appeler un médecin en urgence
ou s'il faut attendre demain matin
malgré notre bonne volonté
ces incertitudes suffisent
à nous ôter toute consistance
Thierry Roquet
L'étang des perdus
il nous faut rejoindre la route
principale et quitter les abords
pierreux sombres
déserts
de ces chemins glissants
je n'ai pas vu le moindre cerf
le moindre joggeur
rien de tout ça
à peine si je distingue
la fumée d'une masure
d'une cabane d'un château
d'une chambre en location
ce n'est peut-être que le brouillard
ses lacérations ses courbures
dans les arbres
décharnés
là juste devant nous
le panneau baignade interdite
cloué sur une barrière en bois
je crois bien que je nous nous
sommes
perdus j'ai
froid tu as
peur
avec en arrière fond
le bruit lourd du moteur
empêtré
dans la neige
chaque seconde en ces
lieux
nous éloigne
du désir
d'ou provenait le grondement
incessant des cascades
sous un soleil de
plomb
Thierry Roquet
Rue de l'égaré
une jeune fille à qui
il demande sa route s'exclame
en entendant son accent
oh tu es trop chou toi
tu es italien ?
euh non
répond Majesty
je ne suis pas vraiment italien
enfin pas tout à fait
d'ailleurs jusqu'à présent
je n'ai jamais eu le sentiment
d'être d’un endroit particulier
au fil des rues
il lui arrive d’être pris de vertige
tant l'Histoire partout dégouline
comme de la sauce campidanese
sur des gnocchis
se calcifie en palais
en façades dix-huitième
en hôtels particuliers
en arcs
ou en colonnes triomphales
pour entrer ensuite en collision
avec l’avant-garde
ou la misère
Daniel Labedan
O Superman, Laurie Anderson, 1981
La vie en fonte
Le froid est vif et je peine
à me frayer une place dans le petit local
surchauffé ou m'attendent quatre collègues
pour une série de livraisons au hangar 3
je les salue machinalement
je n'ai pas la tête
à soulever ces colis trop lourds
comme la dernière fois
je n'ai pas la tête à supporter
leurs insinuations leurs questions
leurs regards leurs rapports
je vais d'abord boire un café
brûlant à 35 centimes fumer
une clope dehors sous l'oeil des caméras
de surveillance je vais scruter le ciel
mes poches mon répertoire de pensées
heureuses - il m'en reste à écrire - je vous rejoins ensuite
je leur dis
je vais m'efforcer
de tenir bon
de tenir la journée
aux autres le combat la flamme
le qui plus est
le dernier mot
Thierry Roquet
Contact
à la station Gobelins
ils prennent la ligne sept
direction La Courneuve
le dimanche matin si tôt
il y a peu de voyageurs
une japonaise insomniaque
habillée en poupée électrifiée
des randonneurs en partance pour
les bois morts de banlieue
deux noctambules endormis en travers des banquettes
un vieil homme avec sa maison en sacs
et une petite fille bien calée
entre les jambes de sa mère
ils ont peu de temps
en trois stations maximum
tout doit être terminé
Jérémy commence par arracher
toutes les publicités suspendues
les plie et les fait disparaitre
dans son sac à dos
à Censier Daubenton
un jeune dandy monte
s'assoit et les regarde agir
Constantin
ouvre à l'aide
d'une clé spéciale à embout carré
les cadres en inox sur les cloisons
décolle d'un coup sec
les affichettes autocollantes
de leur support plastifié
les froisse et va les fourrer
dans le sac à dos de son ami
à la station Monge :
personne
avant de descendre à Jussieu
à l'aide de sprays noirs
ils écrivent avec application dans les emplacements
occupés auparavant par la publicité :
VACCINEZ-VOUS CONTRE LES MENSONGES D'ETAT !
VOS CERTITUDES SONT DES MURS !
Daniel Labedan
Mad world, Paul Kalkbrenner, 2009
Zone occupée
quelquefois ma mère m'emmenait chez les Diaz
ils habitaient au second étage
madame Diaz était brune avec une coiffure compliquée
elle se tenait assise sur un sofa de velours rouge
son mari n'était jamais là dans la journée
tout le monde dans l'immeuble savait où il était :
il vendait des cacahuètes
des friandises et des jouets sur le Vieux-Port
son commerce tenait dans une charrette à bras
bleue à roues dorées
ma mère disait que dans les années quarante
madame Diaz avait été obligée d'épouser
monsieur Diaz parce qu'elle était juive
elle ajoutait c'est triste pour une si belle femme
à six ans je ne comprenais pas pourquoi c'était triste
d'être mariée avec une sorte de Père Noël
Catherine Franghias Gasperini
Kalkbrenner Transnatural
Jérémy et Majesty
discutent dialectique
dans l'atmosphère electro
du Kalkbrenner Transnatural
l'ambiance est tendue
Jérémy explique que tous les coups sont permis
la violence est un recours
qui peut être employé
jusqu'à son stade ultime
lorsque la souffrance est
devenue trop grande
parce que le temps est compté
dit-il
dans la blancheur des rais de lumières
passent des visages jeunes
aux yeux maquillés
aux lèvres écarlates
des corps fins traversés par les ondes
et les décharges répétées
des neuromédiateurs
Majesty est épouvanté par
cette théorisation de la mise à mort
il dit à Jérémy que pour lui
il n'est pas question d'agir
en opposition au principe de vie
et que si son ami persiste dans
cette forme de pensée alors
ils deviendront des adversaires
Jérémy tape du poing
s'emporte
parle de nécessité
Majesty pose son verre
sur le comptoir luminescent
et s'en va
Daniel Labedan
Sky & Sand, Paul Kalkbrenner, 2009
Seule
ce midi annie va déjeuner
au restaurant chinois Jardin de Prospérité
elle s’installe au fond
à une table sur laquelle est posée
une petite plante en pot très étrange
commande deux rouleaux de printemps
et un thé au jasmin
à côté un couple mange en silence
à un moment la fille dit : je pars à paris
j’ai donné le préavis pour mon appart'
mais l’homme ne répond rien
il appelle la serveuse lui demande
deux cafés puis règle l’addition
annie se plonge dans la lecture
d'un roman de temps en temps
souligne au crayon à papier
un passage à recopier
plus tard dans son carnet
Cécile Thibesard
Chinese toddler (photo Peter Griffin)
Une mission
Majesty :
je ne sais pas ou aller
je ne sais pas quoi faire comme boulot
je ne sais même plus quoi penser
au juste
les modèles de société se sont effondrés
ou bien démontrent leur nature
insensée et suicidaire
c'est la bérézina
j'ai l'impression que
notre histoire est
une suite de tragédies
même si je ne dois pas
oublier les sages
les penseurs
les avancées collectives
et la beauté du monde
nous les étudiants
nous devons tout réinventer
notre point de départ
est une montagne de données
à analyser en un temps ultra limité
tandis que les anciens
ferment les yeux
et que les types au sommet
échouent à définir un cadre de décision
nous devons nous en tenir
à des choses simples croire en
la responsabilité individuelle
nous comporter de façon vertueuse
mais parfois la force
me manque et j'ai envie
de tout envoyer au diable
d'aller au finnegan's
et d'y perdre l'esprit
Daniel Labedan
Afterlife, Yacht
Deux imparfaits
elle devait être
serveuse
caissière
chargée de clientèle
dans un call-center
un truc dans le genre
ou tout ça à la fois
et elle ne m’avait pas
demandé ma profession
je me suis approché
de ses lèvres entrouvertes et
je lui ai dit
que je n'étais pas bricoleur
que j’aimais bien
rester seul de temps à autre
elle m'a
gentiment murmuré à l'oreille
que je ne devais pas compter
sur elle pour la cuisine
Thierry Roquet
Tirage de tête
En rentrant tard chez moi, un peu ivre, j’ai écouté mon répondeur, il y avait deux nouveaux messages, ce qui est un record.
Le premier provenait de la bibliothèque municipale de Saint Germain les Arpajon qui demandait si j’étais bien l’auteur du recueil de haïkus : les Chroniques d’Oburo.
Ils avaient retrouvé mon nom par les pages jaunes, mais n’étaient pas sûrs que je sois le bon.
Ils cherchaient à se procurer un exemplaire.
Le deuxième, c’était l’hôpital Fernand Vidal pour m’annoncer que le groupe sur le traitement de l’anxiété sociale était complet, qu’il n’y avait plus de place avant octobre 2010.
Bon, j’allai devenir une petite célébrité locale à la bibliothèque municipale de Saint Germain les Arpajon, mais je continuerai pendant un an mes comportements d’évitements et mes diverses phobies relationnelles.
Je me suis allongé dans le lit tout habillé.
Le tirage du recueil d’Oburo était épuisé.
À l’époque, j’avais distribué nombre d’exemplaires autour de moi.
Il ne m'en restait aucun.
J’ai fermé les yeux, et j’ai passé en revue tous les gens à qui j’aurais mieux fait de ne pas en donner.
Patrick Palaquer
Looping
ton verre à la main
tu décris des courbes inextricables
d'ou te sortent des bouts de phrases
perchées
sur des talons aiguille
et
tu finis par
retomber sur le canapé
sur une chaise
sur le cul
lourdement
jambes écartées
tu voudrais savoir
pourquoi et comment
on en est arrivés là
avant de sombrer
complètement
le verre à la
renverse sans que j’aie
pu nous trouver un début
de réponse
Thierry Roquet
Un espace de travail
Quand j’ai du temps
j’écris sur des post-it.
Mon placard ressemble à un couloir, à ceci près que personne n’y passe jamais. Et puis ce n’est pas un couloir : il ne mène nulle part.
Juste devant mes yeux quand je me tiens debout, il y a une pile d’invitations à des vernissages que la femme de l’ancien directeur organisait, il y a plusieurs dizaines d’années. Cartons bleus, cartons blancs, 13 x 19 cm. Sur ces cartons, on peut lire des noms d’artistes inconnus, comme si on était dans un pays lointain, ou dans un film, dans un monde imaginaire, très différent.
Au dos de ces cartons d’invitation, il y a des nombres, des lettres, écrits au stylo-bille et au crayon de couleur par quelqu’un qui a dû passer pas mal de temps à faire ça. Je cerne mal ce dont il s’agit, ça n’a apparemment rien à voir avec les expositions. De toute façon, je doute que tout ce travail ait réellement abouti. Je commence à connaître la maison.
Dans mon placard, il y a une échelle en aluminium beaucoup trop grande. À chaque fois que je la manipule pour aller chercher un livre rangé en hauteur, elle se cogne contre une étagère, un carton, un tabouret. C’est comme au cirque, mais sans les enfants pour rigoler.
Julien Derôme
Marcher à Knokke
samedi soir dernier te rappelle
que nous marchions à knokke
sur le front de mer
à la recherche de villas
d’une belle époque disparue
sous des résidences en béton
ensevelie avec ses rêves arasée
sous des pelouses de riches
allant proprettes vers la mer
au pied des abat-jours
d’appartements qu’on croirait
miroirs meublés à l’identique
croûtes marines aux paysages déjà
de sable sur nos souvenirs
Romain Fustier
Fortune
reliques d’hier des images
se bousculant sous un ciel absent
ou tombé dans la mer
l’horizon éclaboussé de rien
de gris courant après lui
en nuages collés de nuages
& la lumière comme éteinte
dans ce décor d’enlisement
vent battant sur nos corps
brise-lames sous la marée
qui monte avec ses bourrasques
ns avançons contre l’air
à knokke sur la digue
parmi des vagues de béton
Romain Fustier
Majesty : la chambre noire
chaque soir
son père venait vérifier
que les devoirs étaient faits
les leçons apprises
Majesty en perdait ses moyens
n'était plus en mesure de donner
de bonnes réponses aux questions posées
cherchait juste à éloigner la menace
des cris et des gifles ses pensées devenaient
semblables à des lucioles affolées prises
dans le cône lumineux d'un projecteur
il est aujourd'hui un jeune homme
que son père n'interroge plus
depuis des années néanmoins
une peur démesurée vient l'éprouver
en des circonstances particulières
ainsi tout à l'heure
tandis qu'au milieu du cours
sa voisine passait un sms à un ami
et que par delà la fenêtre
volaient les feuilles mortes d'un tilleul
le professeur-assistant l'a questionné
de façon inattendue et assez abrupte
il connaissait pourtant la réponse
était en mesure de l'enrichir
par des exemples choisis
mais il a senti la glace
ankyloser ses membres
et les mots commencer à se dissoudre
avant de franchir ses lèvres
en une fraction de seconde
ne subsistait plus
dans son esprit
que du vide
et de l'angoisse pure
Daniel Labedan
Périphérie par la fenêtre
dans la cuisine ns parlons
thé beurre & grille-pain
& sa proposition la fenêtre
soleil dans les grands arbres
de ns rendre aujourd’hui
dans un parc quelque part
à la périphérie un château
en ruine & un verger
où à présent ns déambulons
en pente vers le lac
dont ns faisons le tour
la nuit venant l’automne
s’installant avec la nostalgie
d’on ne saurait trop quoi
Romain Fustier
Voyage au Japon #20
ce matin yuko n’a pas le courage
d’affronter le vide de son appartement
après une nuit passée à errer de clubs en soirées privées
alors elle va frapper à la porte d’hirokazu
celui-ci l’accueille le visage couvert de mousse à raser
pose un bol de thé sur la table basse devant elle
et continue à se préparer sans lui poser de questions
yuko enlève ses bottes à talons
s’allonge sur le canapé et s’endort aussitôt
avant de partir pour ses cours aux beaux-arts
hirokazu dépose une couverture sur le corps de son amie
et laisse sur son sac pailleté un mot qui dit :
repose toi bien et sers-toi dans le frigo
je reviens à 15 heures
on pourra parler si tu veux
sinon juste lire les réflexions d’une grenouille
allongés sur la moquette
Cécile Thibesard
Le goût amer de l'oubli
à peine reparti
je sens ma mémoire me trahir
la maison de Maoro et Vittorina
la colline la baie disparaissent
les visages amis
perdent leurs contours
alors que j'aurais aimé
les retrouver à mon gré
doux et fidèles
même la cousine Maryam
retient sa voix mélodieuse
je n'entends plus son chant
s'envoler comme un papillon
à la trajectoire incertaine
par dessus la terre surchauffée
derrière la via Don Minzoni
je ne vois plus ses mains s'ouvrir
paumes vers le ciel
pour en recueillir
le bleu électrique
Daniel Labedan
Mer du Nord
cela pourrait la côte belge
le jour de toussaint ressembler
à cela une étendue grise
un bouquet de chrysanthèmes fanés
renversé au milieu des vagues
de la mer du nord
qu’on se plaît désormais
à imaginer sous une drache
une pluie forcément torrentielle &
même si c’est mensonge
carabistouille on se la figure
ainsi avant de s’y rendre
ce matin traversant des landes
jusqu’à des dunes désolées
Romain Fustier
Voyage au Japon, #19
assise sur un banc du jardin public
minaki regarde son fils jouer
avec ses petits copains
minaki a l’impression d’avoir perdu
toute substance propre
de n'être plus que
celle qui remplit le réfrigérateur
prend soin du jeune koji
nettoie l’appartement
et prépare les bains
lorsqu’elle était à l’université
elle aimait un étudiant prénommé keiichiro
ensemble ils passaient de longues heures
allongés sur la pelouse du parc yoyogi koen
à évoquer leurs pensées leurs lectures
et la manière dont le monde
les charmait ou les blessait
après la mort de ses parents
minaki avait très vite voulu un enfant
pour se prouver qu’elle-même était toujours en vie
mais keiichiro ne voulait pas fonder de famille
alors elle avait fini par le quitter
et par épouser un homme qu’elle n’aimait pas
ces derniers mois minaki se sent
très angoissée et oppressée
elle aimerait retrouver l’adresse de keiichiro
lui envoyer un mot qui dirait
laisse moi revenir je t’en prie
j’ai trop besoin de toi
Cécile Thibesard
Sans mes amis
à seize heures personne
au Finnegan's à part Constantin
devant lui sur la table le fond
d'un verre embué contenant
une demi-pinte de Kilkenny
trace des cercles liquides
qu'un index transforme en soleils
à cet ensemble il manque
Sofia et les amis
avec qui il est possible
de s'abstraire du monde
pour un temps au moins
Constantin fait glisser
son verre sur le bois sombre
et poli de la table
efface ainsi
en partie ses dessins
tandis que sous la photo
de Shane MacGowan
une fille au visage serein
vêtue d'un pull
vert électrique
lit un manga en croquant
des biscuits salés
à sa manche droite
des mailles ont sauté
comment pourrait-il
aller vers elle
alors même qu'il se sent
si désemparé
Daniel Labedan
Fairytale of New-York, The Pogues & Kirsty MacColl
Un autre jour
1
un étudiant studieux et normé
a dit ce matin dans un exposé chaque fin promet un commencement
(il était question de sagesse oubliée
et de violences inter-communautaires)
sur le coup majesty a trouvé cette phrase juste
pleine de promesses
puis les souvenirs de certains
évènements proches ou lointains
l'ont fait douter
2
ange cé est venue le rejoindre à la nuit tombée
étendue sur les draps elle lit un roman historique
écrit entre 1928 et 1940 par Mikhaïl Cholokhov
déconcentrée par un bruit dans la rue
elle interrompt sa lecture
regarde majesty avec intensité
murmure en se couchant sur lui
c'est étrange chez toi ce sentiment mêlé
de désespoir et de désir
on ne sait jamais vraiment ce que tu seras
une minute après
on dirait que tu es plusieurs
et que toutes les personnes qui te composent
ont en commun une immense peine
Daniel Labedan
Another day, This Mortal Coil & Elizabeth Frazer
Voyage au Japon #18
chaque jeudi à 17 heures
midori rejoint son amie mika
à la cafétéria de l’hôpital keisatsu byoin
mika est infirmière dans le service de cancérologie
c’est elle qui s’occupait du père de midori
lorsqu’elle venait changer la perfusion
elle prenait toujours quelques minutes pour
s’asseoir à côté de midori et discuter
les deux jeunes femmes s’étaient découvert
un goût commun pour la littérature américaine
à cette époque mika passait ses soirées
dans les bars ou les boîtes de nuit
pour tenter d’oublier la douleur des patients
et sa propre impuissance devant la maladie
le matin se réveillait à côté d’hommes
dont elle ignorait même le prénom
un jour midori l’avait invitée à un atelier d’écriture
auquel elle-même participait
et mika avait enfin trouvé un espace
où donner forme à ses émotions
lors de leurs rendez-vous hebdomadaires
midori et mika échangent des livres
ou discutent de leurs projets
ces temps-ci elles travaillent à un ensemble de poèmes
pour accompagner les sculptures d’ hirokazu
Cécile Thibesard
Voyage au Japon #17
cet après-midi nous sommes allés boire le thé chez hirokazu
qui habite un studio dans le même immeuble que midori
l’année dernière hirokazu a quitté furano dans le nord du japon
pour venir étudier aux beaux-arts à tokyo
le soir après les cours il travaille dans la restauration rapide
où il gagne de quoi payer son loyer et son matériel
dans un coin de son studio sont posées
des sculptures de visages adolescents
sur une étagère s'alignent des origamis
confectionnés par sa plus jeune sœur ma famille et mes anciens amis me manquent m’a-t-il confié j’espère pouvoir passer quelques jours avec eux l’hiver prochain
car je ne veux pas perdre de vue cette part de mon existence
mais pour l’instant j’essaie de me concentrer sur les études
sur la chance qui m’est donnée d’être ici à tokyo pour créer
Cécile Thibesard
Dans le bois #6 : Sony
c'est tout petit
mon caba
non
pour un jour par
tir
pas une vraie maison
pour pas s'installer
dix ans que
je suis de passage
je vois les arbres gran
dir
quand ils peignent des
croix
sur les troncs
je déplace ma cabane
pas voir les arbres tom
ber
pas voir ici autre chose
dé
grin
go
ler
je ne m'habitue pas aux
arbres exprès
pour pas installer
de la tris
tesse
Sophie G Lucas
Les soliloques du pauvre
Les soliloques du pauvre, Jehan Rictus, Mercure de France, 1897
Poème lu par René Depasse, pour le site litteratureaudio.com
Se souvenir
des nuits romaines qu'avons-nous
sauvé du Trastevere déserté
au-delà des ponts quand le fleuriste
Flavio dépose trempées les premières
fleurs
nuits chaudes d'été qui n'en finissent
pas de nous caresser l'âme
dis Marco où es-tu aujourd'hui
que Rome s'éloigne dis Bru
chantes-tu en rentrant
vers la reine marguerite
en poussant devant toi
les amis du 61
Philippe Leuckx
Dans le bois #5 : andrewjz
c'est for
cé on oublie
les mots
ça se mélange
les langues
je parle dans le vent
je don
ne
plus de nouvelles au pays
c'est comme si j'é
tais mort
mes mains ne ser
vent plus à rien
à personne
c'est mort
c'est du petit
bois bon
à mettre au feu
Sophie g Lucas
Dans le bois #4 : Atiq
j'ai
les arbres qui mar
chent dans ma tête
la nuit
une armée qui
fond sur
nous
le Bois est ma pri
son
je crois pas
pouvoir sortir
de là
on se découpe mal
dans les villes
on fait des om
bres
au coin de vos
yeux
Sophie g Lucas
photographie Michèle Marin Flora
Laisser Rome, encore
1
sur un banc des jeunes du Trastevere
me font l'amitié tardive
de quelques mots
Rome c'est cela sans doute
une conversation inattendue
dans une rue qui se vide
et dont la mémoire garde sûre
les moindres intonations du soir
2 du côté poudreux de Casilina
loin en banlieue
des gosses jouaient contre des fils
et des mères attendaient aux fenêtres
qu'ils rentrent avec le soir
Philippe Leuckx
Chute d'arbre
des étoiles scintillaient entre les nuages
quand un vieux peuplier
est tombé sur le chemin vicinal
rien d’autre n’est arrivé cette nuit là
lorsque le lendemain la chaleur du soleil
a réveillé les cigales
on a démarré la tronçonneuse
le type qui venait promener
son chien tous les matins a dit le peuplier c'est du bon bois
pour fabriquer les cagettes
il nous a souhaité une bonne journée
puis a cassé une branche
l’a lancé à son chien qui venait
de pisser contre le tronc
couché en travers du chemin
Jean Louis Massot
Voyage au Japon, #16
midori et watanabe s'étaient rencontrés dans la librairie
tenue par les parents de celui-ci à hakone
elle cherchait un recueil de nouvelles de carver
il lui avait conseillé tais-toi je t'en prie
ensuite un sentiment profond les avait réunis
à cette époque midori vivait seule avec sa soeur
toutes les deux se relayaient
au chevet de leur père à l'hôpital
poursuivaient leurs études
tout en assurant l'entretien de la maison
lorsqu'il sentait midori fatiguée et découragée
watanabe demandait à ses parents si son amie
pouvaient venir passer quelques jours chez eux
ils acceptaient toujours avec joie
car le caractère éveillé
de la jeune fille leur plaisait
et midori s'intégrait sans heurt dans leur fonctionnement quotidien
Cécile Thibesard
Révisions sur le spot
ange cé a une peau si blanche
si délicate si lactée
elle doit sous le soleil ardent
s'enduire de crème solaire indice cent
après avoir déployé sa serviette
verte avec arbre rouge
à l'ombre d'un parasol ivoire
emprunté à la terrasse d'un hôtel luxueux
elle s'allonge et reprend la lecture
de son recueil de nouvelles tchèques
elle en est à la page soixante-quatorze
il est question d'un collectionneur
de gravures format jésus
majesty plus loin les mollets
éclaboussés par l'écume océanique
contemple ce tableau apaisé
ouah regarde ça
s'exclame-t-il
à l'attention de strass allongé dans l'eau glacée
toutes ces couleurs c'est trop beau
carrément un pur kandinsky période cavalier bleu
il ne manque plus qu'une compagnie de uhlans
filant au galop là-haut sur l'arête de la falaise
Daniel Labedan
Alexei von Jawlensky,
Portrait du danseur Alexander Sacharoff, 1909 70 X 67, Munich, Städtische Galerie im Lenbachhaus
Laisser Rome
au Paparazzi il y a de quoi
se protéger de la chaleur du corso vittorio
avec un petit blanc des castelli
servi par Marco
le long du bar des habitués de midi
qui viennent pour les beaux yeux d'Azzu
la soeur
ici Rome ordinaire tramezzini et rumeurs
nomades
août glisse sur les peaux
le fourneau de l'été
sur la petite table je complète
mon moleskine
Marco vient parfois
me traduire quelques vers
et le vent chaud fait le reste
entre un café tassé et la nostalgie
quand il faudra tout laisser difficile di lasciar Roma
certo
Philippe Leuckx
Fiori Fiorello, Tuxedomoon
Voyage au Japon, #15
hier soir alors que nous marchions dans le quartier yebisu
watanabe m'a parlé de son ami d'enfance ryu
qui lui sert maintenant d'anti-modèle
lorsqu'il avait quinze ans ryu est parti vivre à paris avec sa famille
ses courriers évoquaient sa découverte de la cuisine française
ses promenades à travers des lieux chargés d'histoire et de culture
après avoir étudié dans une grande école
ryu est rentré au japon
et travaille pour un laboratoire pharmaceutique
il voyage dans le monde entier
passe ses vacances à apprendre de nouvelles langues
et par manque de temps se fait acheter
ses chemises et ses costumes par une secrétaire
le mois dernier sa petite amie l'a quitté
elle ne supportait plus de devoir se contenter
de quelques heures avec lui entre deux avions
de parfums achetés dans des duty-free
de petits mots écrits à la va-vite
sur le papier à en-tête
de grands hôtels métropolitains
Cécile Thibesard
Aveugle
constantin :
je voudrais pouvoir
demander à mon père
des conseils sur la marche à suivre
mais mon père
n'est pas capable de me répondre
n'a pas su s'adapter aux changements rapides
alors pour ne pas passer pour un âne
il me sort des discours fabriqués sur-mesure
qui commencent par j'ai entendu un expert dire
ou par selon le député x qui préside la commission y
aussi dois-je rester incertain
chercher par moi-même les données
construire ma propre grille d'analyse
en regardant le réel tel qu'il est
et décider de tout sans
le bénéfice de l'expérience
sans avoir discipliné mes passions
ni connaître ma vraie nature
Daniel Labedan
RevendiKtions fenêtres & volets
bonjour
après manipulés par la Trreur "bohee filipe" pequenot Scroc new vnu à paris les attaqes vRbales de "chantal hibon" ça devait arriV lemmrdeuz mafia/copro et pdt conseil s1diKl m'naSS avec sa bande de groSS bras courrier s1ple 389 de contentieux motif harmonie immeuble chapitre 2 partie 4 règlement copro (RC)
avons dans la 60n de revendiKtions dont
RÉGULARISATION MAçIVE
LOGEMENT POUR TOUS
NOS PLANTES NE SONT PAS DES OGM
LICENCIEMENT NON
RENOUVELABLE OUI NUCLÉR NON
REPASSAGE NON
pour 7 mafia suicidr lharmonie immeuble nest po1 gné par les 2-3-4 roues et + qentrent/sortent jours/nuits bruits/odeurs danG pèrQSSion CO2 etc -po1 de exclamation- le RC 1trdit le bon sens (changements climatics)
new revendic ce 23.8.9
40 RUE BELLEVILLE AUTONOME (non o s1dic)
C'EST 1 PIERRE K LA COPRO À LA PLACE DU COEUR
Daniel René Villermet
photographie Michèle Marin Flora
Voyage au Japon, #14
aujourd'hui nous avons pris le train jusqu'à odawara
puis le bus jusqu'à hakone
pour aller voir la grand-mère de watanabe
qui vit dans une maison de retraite médicalisée
depuis qu'elle a perdu l'usage de la parole
lorsque nous sommes entrés dans sa chambre
elle dormait dans un fauteuil
watanabe s'est agenouillé près d'elle et lui a caressé la main
jusqu'à ce qu'elle se réveille
ensuite nous avons été dans le parc
midori a étendu un grand tissu sur lequel elle a disposé
des assiettes garnies de sandwichs au concombre et au salami
puis elle a versé du thé vert dans de petites tasses en plastique
et nous avons mangé en silence
pendant le voyage du retour
watanabe m'a raconté que sa grand-mère l'avait élevé chaque jour à la sortie de l'école je guettais son kimono rouge
c'était pour moi la promesse d'une promenade main dans la main
sur les rives du lac ashino-ko puis une fois à la maison
d'un goûter avec des gâteaux de noix
Cécile Thibesard
Au dedans
Il lui dit avec des mots qui sautent sur sa langue
comme une fricassée de mousserons dans une poêle
qu’il est temps de parler sérieusement de cette maison
des chambres que plus personne n’occupe
de la pompe à eau régulièrement en panne
des portes qui ont gonflé dans leur chambranle
des tomettes décollées
des rats qui ont creusé des galeries dans les murs
des bûches vermoulues à côté de la cheminée
devenues le repaire des scorpions
des bouteilles de vins dans la cave
qui ont viré au vinaigre
de tous les messages d’amis sur le répondeur
Jean Louis Massot
Minéral, végétal
Il commence à faire moins chaud. Ce matin je suis allé à pied jusqu'aux vignes à la sortie de la ville. J'ai remonté le grand boulevard, suis passé devant la cour de l'école, ai regardé quelques instants les enfants du centre aéré qui jouaient à chat. Les marronniers de la rue ont fait leurs bogues. Sur le trottoir un homme taille les haies, un autre garé en double-file livre une caisse volumineuse. La vie a repris ici. Quand tu reviendras à cette heure il y aura des écoliers devant le passage piéton, un cartable sur le dos, leur petite main glissée dans celle de leur mère.
Au bord de la rivière l'autre jour j'ai trouvé un énorme galet que j'ai eu bien du mal à ramener dans le coffre de la voiture. J'étais en nage, je ne sais pas ce qui m'a pris de faire ça. Je l'ai mis dans le salon. Une expression dit triste comme les pierres, je ne comprends pas pourquoi. Tout est prêt pour ton retour. Il ne manque que toi.
Thomas Vinau
Voyage au Japon, #13
aujourd'hui j'étais invitée chez mes amis
avec la soeur de midori son mari et leur jeune fils kôji
je suis arrivé un peu tôt et tandis que midori
était encore à son cours de littérature américaine
j'ai secondé watanabe dans la préparation
des oeufs de saumon à la sauce soja
des anguilles grillées
et des légumes confits au sel
puis durant le repas midori a servi
de traductrice en simultané
parce que sa soeur et son mari
ne parlent aucune langue étrangère
au moment du thé le jeune kôgi
a sorti de son sac un grand classeur
est venu s'asseoir près de moi
et m'a montré sa collection de cartes de joueurs de base-ball
rangées dans des petites pochettes plastiques étanches
Cécile Thibesard
Voyage au Japon, #12
je suis pour quelques jours dans le sud
avec mes amis la soeur de midori et sa famille
ce samedi nous sommes sur l'île de shikoku
nous avons visité le temple ryozen
d'où partent des pélerins en costume blanc
puis je suis allée me baigner avec midori et sa soeur
à la station thermale dogo
avant d'accéder à la source d'eau chaude
nous nous sommes lavées dans une salle de douche
munie de petits sièges en plastique
pendant que nous nous relaxions dans le bain des femmes
midori et sa soeur m'ont parlé de leur mère défunte
de la façon dont elle prenait soin de son corps
même dans ses derniers jours à l'hôpital
nous voici maintenant revenues à notre auberge
nous allons rejoindre pour le dîner
watanabe son beau-frère et le jeune kôji
qui étaient partis se promener à vélo
Cécile Thibesard
Thérapie au marker
parfois constantin majesty
ou un autre de la bande
se sentait gagné par le découragement
trop d'obstacles devant eux
des repères volatils
des valeurs en papier crêpon :
de quoi chanceler
alors ils programmaient
une soirée droit devant
au finnegan's wake ou
dans un parc selon la saison
prenaient le temps d'énumérer
en buvant des bières ou du martini
les choses qui valaient à leurs yeux
réellement la peine de vivre
discutaient de leur bien-fondé
les notaient au marker sur
une feuille bistre de très grand format
rajoutaient des coeurs des fleurs
des symboles alternatifs
allaient ensuite coller leur création
confuse mais amusante
sur le panneau d'affichage destiné
aux étudiants en master deux
Daniel Labedan
Alexander, Baba Zula Doublemoon & Positif Müzik Yapim records, 2007 (Turquie)
Voyage au Japon, #11
je crois que je me souviendrai toujours
de ce dimanche à hiroshima
du squelette d'acier du dôme de la bombe A
de la flamme vacillante au milieu du mémorial de la paix
du jeune kôji jouant sur la pelouse du périmètre des enfants
entouré de milliers de grues en papier
à mon retour je chercherai une traduction des poèmes de la bombe atomique de tôge sankichi
dont m'a parlé watanabe
Cécile Thibesard
Voyage au Japon, #10
cet après-midi nous avons rendu visite à toshiya
qui vit sous une tente bleue dans le parc ueno-koen
watanabe et midori l'ont rencontré l'hiver dernier
alors qu'ils aidaient à la distribution d'une soupe populaire
à la gare de shinjuku
il y a six ans toshiya s'est retrouvé au chômage
mais n'a pas osé l'avouer à son épouse
pendant un mois il a continué à se préparer le matin comme à son habitude
toute la journée il errait dans le quartier de son entreprise
puis un matin il est parti sans rien dire
toshiya pense qu'il est trop tard maintenant
pour reprendre contact avec les siens
watanabe et midori essaient de prendre soin de lui
chaque dimanche viennent le voir
lui apportent des boites pleines de soupe de nouilles
marchent avec lui dans les allées du parc
où se dresse la statue du samouraï saigo takamori
Cécile Thibesard
Encore
une fois encore
il faut attendre
attendre encore
et je ne sais pas pourquoi
la salle d’attente de l’aéroport international
de Luqa
ressemble à
la salle d’attente d’un cabinet dentaire
ressemble à
la salle d’attente de la création
ressemble à
la salle d’attente de l’assurance chômage
ressemble à
Jean Marc Flahaut
hotel Lutetia, photographie Hadda B.
Voyage au Japon, #9
ce vendredi nous avons beaucoup marché
nous avons aussi pris le métro
pour nous rendre dans différents quartiers
le quartier shinjuku avec ses love hotels
ses gratte-ciel et ses centres commerciaux
le quartier akihabara surnommé la ville électrique
parce que c'est le royaume de l'électronique et de l'informatique
enfin le quartier shibuya où l'on croise
des jeunes gens avec des cheveux jaunes rouges ou verts
habillés comme des personnages de mangas
je suis rentrée à l'hôtel me reposer un peu
ce soir nous sommes invités à un karaoké
chez un ami de watanabe et de midori
Cécile thibesard
La tentation de l'état naturel
un jour
notre différence d’âge
lui sautera aux yeux
et on sera proche de la fin
pour l’instant
je joue au type en forme
elle m’habille en jeune
à mon avis j’ai l’air déguisé
elle m’assure du contraire
j’ai perdu du poids pour elle
il n’y a que le double-menton
qui persiste malgré la percutaféine
que j’ai achetée en cachette
et que je m’applique matin et soir
j’essaye de me tenir droit
d’avoir l’air entreprenant
mais de plus en plus souvent
j’ai envie de faire mon âge
de me laisser tomber dans le canapé
et de regarder la télé
Patrick Palaquer
Toutes ces iles
tu te souviens quand tu étais petit
oh tu devais avoir huit dix ans
tu me coiffais de manière si drôle
je ressemblais à sagan
c’est vrai mes cheveux sont devenus
si fins avec le temps la maladie
ton père lui quand il est né
avait le cheveu fou et
ton grand-père ne se coiffait plus
sur la fin parce que je lui disais fini la bagatelle
tu dois avoir une copine non ?
tu n’en dis jamais rien tu sais
mon enfance était bien différente
mon père n’était pas souvent là mais tout de même
nous ramenait toujours des souvenirs
des villes où il passait dans son bel uniforme
d’officier au long cours
Nouvelle-Orléans Carthagène
Panama Cayenne New York
et toutes ces îles
Martinique Haïti Cuba
ah toutes ces îles
les poupées
les coffrets
les colliers
mais je t’embrasse
on m'appelle pour le diner
tu sais je n’ai pas très faim
et tous les autres vieux là
ne pensent qu’à ça
manger ! manger !
ah profite de tout si seulement
ton père ne me volait pas
je te donnerais
oh profite
oui ! oui !
j'arrive
Stéphane Bernard
Voyage au Japon, #8
pendant qu’on se faisait peindre les ongles
-midori avec des bandes bleues et blanches
moi roses avec des paillettes-
midori m’a raconté qu’elle prenait
des polaroïds de ses proches
pendant qu’ils dormaient
en fait l’idée lui est venue
lorsqu’elle veillait son père
à l’hôpital keisatsu byoin
certaines fois il avait l’air
si détendu dans son sommeil
qu’elle a souhaité conserver
cette image tranquille de lui
je lui ai parlé des travaux
de sophie calle et nan goldin
lorsqu'elle viendra à paris
avec watanabe l’automne prochain
je les emmenerai à la librairie
de beaubourg regarder leurs albums
Cécile Thibesard
Voyage au Japon, #7
ce mercredi j’ai retrouvé reiko, watanabe et midori
au sanctuaire heian jingu
nous nous sommes assis dans le jardin planté de cerisiers, d’iris et de lotus
reiko a joué de la guitare
watanabe a lu un texte en japonais évoquant ses souvenirs avec naoko
et midori a récité des haïkus à sa mémoire
c’était doux d’être là ensemble à penser à la même personne
ensuite nous avons écrit quelques mots chacun sur un petit papier
que nous avons noué aux branches d'un arbre
j’ai écrit une prière pour que naoko repose en paix
après nous sommes allés déjeuner
nous avons parlé et ri aussi
c’est la première fois que je les vois
pourtant j’ai l’impression de les connaître depuis toujours
chacun a aimé son petit présent
watanabe et midori m’ont offert une statuette chat porte-bonheur
reiko a un regard tellement profond et une façon d’écouter si attentive
on dirait qu’elle a vécu mille vies
je suis rentrée au temple hôtel
c’est la fin d’après-midi maintenant
je vais profiter encore un peu de la quiétude de ce lieu
avant de repartir demain matin pour tokyo avec watanabe et midori
là-bas ce sera sans doute nettement plus électrique comme ambiance
Cécile Thibesard
Les gens heureux lèvent les bras
Voyage au Japon, #6
nous avons beaucoup parlé (en anglais) avec hatsumi aujourd’hui
elle m’a raconté l’histoire tragique de son jeune oncle takahito
qui a disparu de tokyo il y a trois ans parce qu’il était couvert de dettes
et voulait échapper aux yakuzas qui détiennent
de nombreuses sociétés indépendantes de crédit
beaucoup de japonais dans ce cas-là
font appel à une société de débarras en tous genres
ou de déménagements du soir
et deviennent ensuite des évaporés
hatsumi pense que son oncle a sans doute juste pris le métro
pour aller dans le quartier sanya, un quartier dangereux
où 70% des habitants seraient des évaporés
je pense à lui tous les jours m’a-t-elle-dit
j’aimerais qu’il donne enfin de ses nouvelles
mais je crains qu’il lui soit arrivé quelque chose
Cécile Thibesard
La rive du lac, selon Ange
alors que j'étais encore une fillette
à la poitrine aussi plate que cette plage de sable
mes parents m'emmenèrent pour de courtes vacances
sur les rives du lac de Constance
nous séjournions dans une pension de famille
à la façade rehaussée
de scènes pastorales peintes
le fils des propriétaires et moi
nous étions amoureux et sans méfiance
je ne comprenais rien à ce qu'il me disait
sa langue me paraissait complexe
et assez peu musicale
ses phrases me tombaient dessus
comme des éboulis
mais je me souviens
de ma peur de le décevoir
de ses mains douces
parties en exploration
en haut de mes cuisses
de ses lèvres sur les miennes
de notre application à
nous embrasser selon les règles
apprises au collège
Daniel Labedan
Voyage au Japon, #5
la journée était vraiment belle
dans le jardin du temple sanjusangen-do
j'ai rencontré hatsumi qui étudie l'art à tokyo
elle passe ses vacances à kyoto
peint les temples et leurs jardins à l'aquarelle
sur un petit carnet
nous sommes allées ensuite marcher sur le chemin de la philosophie
cet endroit est magnifique au printemps m'a-t-elle-dit
à cause des cerisiers en fleurs
nous nous sommes donné rendez-vous demain
pour aller au quartier de gion
le quartier des geishas
je vais me coucher maintenant
je pense que je dormirai bien dans ce lieu paisible
Cécile Thibesard
Mouvement
dans l’aile lustrée rouge de la Citroên C3
garée devant la faculté les passants se courbent
s’élargissent et tirent leur révérence
à Constantin assis sur un banc public
cette fois encore Majesty a du retard
c'est habituel lorsqu'il est concentré
sur son travail il ne voit pas passer le temps
oublie les rendez-vous et les obligations
Constantin lui laisse un message téléphonique marre de t'attendre sur le trottoir
suis parti au finnegan's wake
retrouver les autres
Daniel Labedan
Au port
dans une heure, il aura cessé de pleuvoir peut-être
Philippe aura deux heures de retard
il pleuvait déjà quand il m’a téléphoné
et j’ai mis mon imperméable le plus hermétique
parce que je devinais que je serais contraint
à la contemplation détrempée du port et de ses grues
peu importe je suis préparé à ça
je sais que je dois attendre
tout comme je sais qu’il ne s’excusera pas
mais encore une fois peu importe
depuis quinze ans je vis dans la limite
d’une servilité que j'ai choisie
et je tire une fierté idiote
à jouer ce rôle d’ange gardien
Pascal Blondiau
Voyage au Japon, #4
c'est le milieu d'après-midi à kyoto
je suis arrivée tout à l'heure par le shinkansen
dans le pavillon où je suis logée
j'ai assisté à la cérémonie du thé
qui commence par une promenade dans le jardin zen
et se poursuit par une suite de rituels
dans une pièce aux portes coulissantes en bois et papier
dans un coin se trouve le tokonoma
petite alcôve décorative ornée d'une composition florale
la beauté dénudée des lieux et la lenteur des préparatifs
tout cela crée une parenthèse apaisée
qui invite à la méditation
tout autant qu'au temple Sanjusangen-do
Cécile Thibesard
Dimanche 2 aout, 16h16
l’heure des avions
des traces précises
et confuses
au ciel menacé
on n’attend rien
ce n’est pas l’été
juste une fuite
dans l’air dévasté
la tête de la nuit
à casser
dans sa caisse
quelle masse
de cailloux
en mon coeur
lié à la ténèbre
ni ne ment
ni ne dit rien
n’indique rien
ici je n’espère pas
le passé sans âge
et demain
sa triste gueule
où rien ne s’inscrit plus
que la brûlure
des étoiles
mortes depuis
peu.
Hervé Bougel
Voyage au Japon, #3
je suis arrivée très fatiguée aujourd'hui à 4 heures du matin
( 11 heures heure locale)
dans le taxi qui me menait à l'Osaka Spa World
je regardais les lumières de la ville
en me demandant si je n'étais pas dans un songe
arrivée dans la chambre je suis tombée sur le lit
comme une feuille de gingko à l'automne
et j'ai dormi
il est 18 heures 30 ici maintenant
je vais aller voir le panorama
depuis le jardin flottant
de l'Umeda Sky Building
ce soir tard j'irai nager
dans la piscine de l'hôtel
Cécile Thibesard
Voyage au Japon, #2
c'est arrivé dans l'avion
en pleine dégustation d'une blanquette de veau miniature
j'ai eu la vision claire et précise
de mon appareil photo numérique
sur une des étagères de ma bibliothèque
j'ai cru que j'allais me mettre à pleurer
devant mes rondelles de carottes
et puis je me suis dit qu'après tout
ce n'était pas si grave
que mon voyage n'était pas fichu pour autant
que mon oubli était un acte manqué
auquel je devais donner un sens
alors j'enverrai
des photos avec des mots
Cécile Thibesard
Voyage au Japon #1
mon avion va décoller avec deux heures de retard
à cause d'un petit problème technique
hum
le genre de truc qui met tout de suite à l'aise
les stressées de la vie comme moi
heureusement j'avais les gouttes rescue dans mon sac à main
du coup j'ai eu le temps de visiter tout l'aéroport
je suis allée dans la chapelle allumer une petite bougie
pour ma grand-mère étoile
j'ai lu Elle, Glamour Biba et Marie-Claire
en trempant des petits beurre dans un thé
ah oui j'ai aussi croisé ton ami josef
qui partait pour le Kenya
je lui ai donné de tes nouvelles
aujourd'hui j'ai mis mon jean
avec mon tee-shirt à fleurs et
ma veste rose en lin
parce que j'avais trop peur
d'avoir froid pendant le vol
Cécile Thibesard
Le pays de la forêt couchée
retourner
là-bas à Mimizan
revoir les ombres de la jeune
Andréa Klassen Pflehm
au pied du fronton
de Madeleine
occupée à coudre sous les canisses
et celles des amis partis
vers le nord vers les villes
plonger les pieds dans
le sable chaud et doux
saluer le libraire de la rue Maurice Martin
parler avec Bruno d'une jeune femme
dont nous espérions beaucoup
se baigner dans l'eau rouge
à dix-neuf heures
lorsque la plage se vide
et ensuite
faire le compte des châteaux
de sable abandonnés
tout en se frictionnant
avec une serviette-éponge multicolore
Daniel Labedan
Expéditions internationales
1
Les colis, c’est mon affaire. Je suis là, plongé dans un silence d’après emballage, un silence qui sent le carton et le scotch renforcé, studieux au-dessus de mon bout de papier jaune.
2
Ce petit tas de livres va partir pour l’Argentine. Destinataire : Marcel O. Louvine. Je garde en moi le souvenir de sa silhouette voûtée et de sa façon de parler en postillonnant. Le souvenir de ses grosses lunettes sales, de son visage crispé qui balayait les pages, de la mousse baveuse aux coins de ses lèvres.
Il m’envoie toujours les mêmes mails illisibles : Thank you for your mail¶^ Je suis tres anxieux, merci de faire un carton tre^s solide, just like last time¶^ I trust you. Friendly. Marc€l !!!
3
Il y a une balance, dans mon placard. C’est une vieille balance en métal Roberval avec son lot de poids. Elle est très précise, trop précise même pour ce que je suis censé en faire : peser des colis de livres. Néanmoins je prends le temps de calculer toujours le poids des colis au gramme près. J’ai aussi un pèse-personne, mais je ne peux l'utiliser que pour des poids supérieurs à 10 kilos. Pour les poids inférieurs, avec le pèse-personne, l'astuce consiste à me peser avec le colis, puis sans, et enfin à effectuer une simple soustraction. Mais la marge d'erreur existe, car le zéro se décale parfois.
Julien Derôme
Photographie Michèle Marin Flora
Lenono #3
Yoko
Reine Immaculée de l’Univers
de mes jours
de mes nuits
Yoko
je te choisis comme mère et
comme reine
je te consacre tout mon amour
passé présent et futur
je te confie mes peines et
mes joies
je te livre tous mes biens
Yoko
conduis moi
au port de la paix et
délivre moi
de mes angoisses
fais le
pour moi et pour tous ceux
qui me ressemblent
après ça
j’irai mieux
on ira tous beaucoup mieux
c’est certain
si tu fais ça pour nous
trésor
Jean Marc Flahaut
Dans le bois (part 3), François
je suis mort à l'autom
ne de froid
dans ma tente que
chua kaki blanche
ça s'est arrêté pen
dant la nuit sans
crier gare
les autres m'ont trouvé
raide dans mon du
vet venaient me
chercher boire un
coup
trois jours que je de
vais être là
le chien sur mes
pieds
je suis parti dans
un sac
ils mettent des gants
et des mas
ques pour
se débarrasser de nos
corps
après je sais pas où
ils m'ont mis mais
des choses res
tent de
moi là dans le Bois
Sophie G Lucas
Photographie Michèle Marin Flora
Retourner chez lui
dans des boites à chaussures sur les étagères
je trouve des boulons
des écrous
des vis des rondelles
des clous
qui à la longue ont rouillé
dans le hangar construit de
ses mains
tremblantes depuis le jour
où il a attrapé
cette sale maladie
depuis le jour où
il a vu un morceau
du toit s’envoler par dessus
le vieux saule qui va tomber
comme lui un soir
dans la prairie
Jean Louis Massot
Dans le bois (part 2), Georges
c'est vide
là-dedans j'ai per
du le goût des gens
un jour j'arrivais plus à ouv
rir la bouche la langue accro
chée au palais j'ai tout quitté
pour sous
des quantités de ciel et feuil
les ici mon silence s'est
défait mais je parle
tout seul et
qu'à tout ça
même aux pier
res tout autour
de ma caba
ne en bois aux ar
bres ça m'est égal de
voir personne que les
ombres
des promeneurs le di
manche sur les chemins
on les voit mieux l'hiver c'est
nu
des fois on entend les chevaux
courir
Sophie G Lucas
Fly Emirates
à l'intérieur du périmètre
des villas conçues par
de célèbres architectes
des répliques
de palais marocains
de chateaux français
des pelouses immenses
des installations thermales
un golf un club hippique
une forêt sauvage
avec des toucans
et de gracieuses impalas
une île artificielle
aux échancrures secrètes
baignée par une eau filtrée
tout ceci avec
en arrière-plan
la tour Pentominium
dessinée par andrew bromberg
point culminant de Dubaï nouvelle
capitale du luxe
Daniel Labedan
photographie : Alexandra Bougé
Dans le bois (part 1), Cheyenne
j'ai
un cheveu sur la lan
gue et un chien
tous les trois on habite
dans le
Bois
dedans
des murs en plas
tique ça claque
l'hiver le vent la nei
ge
on s'accroche aux po
teaux de fer aux clous
aux noeuds des
bois
j'use mes bras à que
ça s'envole pas de
bout
Sophie G Lucas
Orage
il nous a surpris
dans la piscine
elle a couru pieds nus
s'est jetée sous l'auvent
sa peau sentait le chlore
son ventre était
rond
son rire comme
l'éclat des grelons
sur le sol
Thomas Vinau
Un espace cuisine
Le sentiment de louper un truc
ça se passe ailleurs
dit Missy
j'en suis sûre
que ça se passe ailleurs
et je n'y suis pas
bon
les amis
je m'en vais à la Nouvelle Eve
à tous
bonne fin de soirée
c'est ça
bonne fin de soirée Missy
n'oublie pas ton sac à main
ah oui merci Strass
je n'ai pas toute ma tête aujourd'hui
il faudrait que j'arrête une fois pour toute
de mélanger les anxiolytiques et le gin
enfin je ferai ça plus tard
quand je saurai où
j'en suis exactement
Daniel Labedan
Loin et incertain
par la fenêtre
entre l'air lourd
les bruits de la métropole
du trafic incessant
rappellent le grondement
monotone du ressac
Majesty pense à la distance
qui le sépare de son île
et envahi par le sentiment
d'inappartenance envisage le retour
aux rives connues du golfe d'Orosei
aux bancs ombragés des places publiques
où viennent s'asseoir les veuves
et les veufs
Daniel Labedan
Une effraction
elle essuie ses lunettes
se ressert un gobelet d'eau fraîche
les gendarmes sont repartis sans fermer la porte
de la bibliothèque elle se baisse pour ramasser les livres
sa jambe la fait toujours souffrir la fatigue fragmente
ses pensées lui reviennent les mots de l'adjointe à la culture
après l'arrêt des subventions pour les soirées contes
organisées avec les mères du quartier
et l'air hautain du gars de la bdp
qui répétait tout le temps oh c'est pas pour ce qu'ils lisent
le maire qu'elle n'a vu qu'une fois
à l'inauguration du point informatique
le harki qui met sa main devant sa bouche
lorsqu'il rit en feuilletant les Gaston Lagaffe
au milieu des enfants
puis elle se retrouve à nouveau
toute seule agenouillée à ramasser
les bris de verre dans l'entrée
Thomas Vinau
Carroz D'Araches (part I)
on partait dans une Fiat le lundi matin
souvent il neigeait
c'était en février et mars
nous nous arrêtions
dans un supermarché du côté de Cluses
pour faire les courses de la semaine
du fromage des yaourts
de la viande très peu
et du vin beaucoup
un jour qu'il faisait beau
je me souviens d'une fille habillée en rouge
elle lavait les vitres d'un café côté rue
et nous avons gueulé en passant
devant elle en voiture une obscénité
quelques mots au sujet
de son beau cul moulé
dans ce pantalon rouge
nous étions façadiers
j'avais vingt-et-un ans
on travaillait sur des chantiers
aux Carroz d'Araches
en Haute-Savoie
on disait Arrache Les Carreaux
Jean-Paul le patron
fumait pétard sur pétard
écoutait Higelin et Gainsbourg
plus tard il partit faire
de l'argent en Arabie Saoudite
là-bas la peinture sèche vite
il tomba de l'échafaudage
s'estropia
un genou brisé
je ne l'ai pas vu
depuis plusieurs années
il y avait Patcho
qui avait au menton une cicatrice
pareille à la mienne
d'un pareil accident
une brûlure violente
une chute sur le poêle à charbon brûlant
quand nous étions l'un et l'autre
de tout petits enfants
j'ai rencontré un jour un autre homme
avec semblable blessure
au menton un accident
caractéristique d'une époque faut-il croire
Hervé Bougel
Carroz D'Araches (part II)
j'avais peur de ce travail
de façadier
il fallait monter en moulinant
sur des passerelles de planches
jusqu'à des douze mètres de hauteur
et attaquer le mur au rouleau
d'un geste large
le câble s'ajustait sur la poulie
et me précipitait dans un vide
de cinquante centimètres
c'était terrifiant
cette si courte plongée
tétanisé je ne pouvais pas
travailler peindre façader
la nuit je rêvais de chutes
d'échelles renversées
de vent méchant
qui cognait aux murs à enduire
alors je suis resté en bas
et je remplissais les bidons
de peinture je brassais
les mélanges
ou j'allais avec la Fiat
chercher du vin à l'épicerie
pour ceux du bâtiment
je n'ai pas fait longtemps
ce métier
c'était à la fin de l'hiver 1980
j'avais de beaux cheveux
plaqués sous un bonnet
alourdi de peinture
Hervé Bougel
Je devrais t'écouter plus souvent
Pour Bruce Devers
la fille
en scooter Playmobil
n’existe pas
vraiment
Jean Marc Flahaut
Déception waterproof
dans le lit Carmela dit à son copain tu es comme tous les autres tu penses qu’à mon cul
je voudrais que tu m’aimes
mais après tout ce temps je me demande
si tu es capable d'aimer quelqu'un
il ne répond pas
se lève enfile son pantalon
va fumer une cigarette sur le balcon
sous la douche Carmela pense
qu’elle ferait bien de
quitter son poste en caisse
pour passer des castings
en peignoir elle va faire bouillir de l’eau
regarde un moment sa tortue
avancer sur le carrelage
quand sa voisine Lily
lui a demandé son nom hier midi
elle a répondu : elle en a pas je l’appelle juste tortue
Cécile Thibesard
Retraverser
Majesty a laissé l'oncle Maoro assis
sous la tonnelle avec devant lui
un verre d'eau
des anticoagulants
en gélules bicolores
s'est présenté juste à temps
pour embarquer sur le quai
des ferries à santa teresa
sur l'autre rive
monte dans la voiture 11
d'un train à grande vitesse
voit disparaître un fleuve
une centrale électrique
des banlieues industrieuses
des bosquets des pylones
des vaches tranquilles dans
des prairies aux bords droits
laisse un message
sur le répondeur de Miss Dolly
hello petite bombe
je suis dans le train j'arrive
avec des larmes à ras des yeux
si tu veux rendez-vous
ce soir au Finnegan's Wake
Daniel Labedan
Une image indéfinie
avant de partir tu m’as dit
ne t‘inquiète pas je t’écrirai chaque jour
ce matin je reçois une lettre de toi
tu me parles de la chaleur là-bas de la couleur de l’eau
d’enfants qui se tiennent par la main dans un parc
tu écris des forêts d’eucalyptus bordent la côte
je regarde ce mot : eucalyptus
je réalise que je ne sais pas
à quoi ressemble cet arbre
je pourrais aller dans le salon
sortir le dictionnaire de la bibliothèque
et chercher une petite photo à côté de la définition
mais au lieu de cela
je vais étendre la lessive
en répétant plusieurs fois à voix haute
eucalyptus
Cécile Thibésard
Week-end d'été
samedi
ange était sortie de l'hôtel Terminus
avec un blouson sur sa robe coquelicot
son compagnon lui tenait la main
à ce moment là
les choses étaient simples
comme bonjour
les mezzés de madame cannelle
en face de l'ami jim
l'homme au chapeau blanc
fabricant de livres carrés
à une heure avancée une jeune fille sur un strapontin
plongée dans la lecture
d'un roman défraîchi gondolé
dimanche
ange fut avalée
par une bouche de métro
direction étoile
son compagnon redevint
maladroit et anxieux
commença à chercher ses mots
Bruce Devers
Une tempête
il y a quarante ans de cela
madame Maria Luisa Yanez et son mari
choisirent de quitter la Galice
afin d'être libres de penser
ce qu'ils voulaient
ils s'établirent en France
près de l'océan
lui travailla dans une fabrique
de lambris en pin traité
succomba d'un cancer peu de temps
après avoir pris sa retraite
elle se coiffe d'une casquette
claire lorsqu'elle sort
en milieu d'après-midi va promener
son caniche aveuglé par la cataracte
à travers la ville peuplée de vieillards
c'est dans les allées de l'ancien cimetière
que je l'ai croisée cette fois
après m'être recueilli devant
la tombe de mon cousin Vlam
tandis que son bras décrivait
un arc du nord au sud
madame Yanez m'a dit
regardez-moi ça
la tempête a tout fichu par terre
même le monument aux soldats morts
pour la patrie est tombé
quelle misère
j'ai regardé les pierres descellées
puis le caniche couché
aux yeux blancs et opaques
je me suis souvenu de la solitude
que j'éprouvais dans cette ville
lorsque j'avais vingt ans
des heures passées à
attendre une fille
Daniel Labedan
A new revolution
ses idées sont pointues
des lames de couteaux longues
de trente centimètres
sa pensée a une charge électrique
égale à celle d'un poisson-torpille
je vais participer au débat se dit Lido
écraser leurs concepts mortifères
leurs schémas de princes corrompus immobiles
je vais les défoncer
leur faire avaler leurs conseils de prudence
à quoi sert la prudence quand
on n'a rien à sauvegarder
bande de connards
je vous hais
Lido est chaud
il appuie sur le bouton on
du micro placé dans l'accoudoir
sans attendre le signal
du président de séance
il commence à dire les choses
comme il les ressent
très vite il comprend
que tout seul il va
au casse-pipe mais
il s'en fout
Daniel Labedan
Festival d'été
il fallait manger vite
les sandwichs
avant que le beurre
et le chocolat
ne fondent
dans le sable
nos doigts
avaient toujours
un petit goût
de sel
le temps
n'existait pas
nous vivions
en slip
Thomas Vinau
Finir comme Edward Norton
la mère
le père les sœurs
l’éducateur
même lui
a fini par jeter l’éponge
les petits
du quartier
continuent de parler de lui comme si
la coupe du monde
était passée entre ses mains
pourtant
bien avant
que la mauvaise graine
lui pousse
entre les boyaux
c’était vraiment le gosse
le plus adorable
du pays
à onze ans
il avait déjà vu
la 25e heure
une bonne trentaine de fois
et pleuré
à chaudes larmes pour
Edward Norton
les trente fois
blotti dans le canapé
le pouce au fond de la gorge
Jean Marc Flahaut
Miss Monde
Lef a voulu se suicider
en lançant sa mobylette contre un mur
Tof l’a suivie à Londres
il la filait dans les rues
sans oser l’aborder
Gège lui écrivait des chansons
qu’il jouait le samedi soir
sur une guitare désaccordée
j’ai couché avec elle
après une nuit de beuverie
à la Southern Comfort
le lendemain
on s’est quitté sans un mot
Patrick Palaquer
Agua de Madeiros
à marée basse sur la plage déserte
près d'un casier à langouste
échoué sur le rivage
ils jouent aux mots cachés dans le sable
devant eux des oiseaux rasent l'écume
plus loin un surfer attend
la bonne vague d'ailleurs
la voilà bien formée verte
laiteuse
Daniel Labedan
Prasca de Allegria
au milieu de la place plantée d'eucalyptus
de caoutchoucs de palmiers
une fontaine à deux vasques ornementées
alimente un grand bassin circulaire
dans lequel se désaltère un chien perdu
Monsieur Alvaro Pereira Fratel s'est assis là
sur un banc face à la caserne des bombeiros voluntarios
parfois la brise agite doucement les feuillages sombres
transporte une légère nuée d'embruns tièdes
à sa gauche se dresse la façade de la pension Allegria
derrière les fenêtres entrouvertes du premier étage
il devine sa femme allongée sur les draps
un livre sentimental entre les mains
peut-être pense-t-elle comme lui parfois
aux années passées l'un avec l'autre à leurs corps
chaque jours un peu plus laids
plus lourds plus raides
Daniel Labedan
Torre de Belem
tandis que sur le Tage une vedette rapide
amène un pilote à bord du roulier brésilien Borodine
un homme en costume d'alpaga gris tourné
vers l'estuaire s'évente avec son panama
madame Veira Pereira Fratel achète
deux carreaux de céramique peints à la main
va s'asseoir à l'ombre
d'un bananier près des marchands de souvenirs
n'a pas envie d'aller retrouver son mari
là-bas un peu plus loin au sommet de la tour
d'ailleurs à cet instant précis son mari a l'esprit
ailleurs en un autre lieu un autre temps
Daniel Labedan
Parc Estrela
sous le toit ouvragé du kiosque
trois danseurs répètent leurs membres
semblent se distordre sans peine
un groupe d'enfants en tabliers verts
jouent sur l'herbe du Parc Estrela
tandis qu'assise sur un banc à l'ombre
une étudiante lisboète confie à son amie
les vraies raisons de son départ pour Coimbra
Daniel Labedan
L'autre rive
nous traînions en petite bande
le long de la Marne
je me serais bien passé
de cette promenade du dimanche
Léon a dit à la cantonade
qu’on pouvait se baigner dans le fleuve
j’ai fait la moue en regardant l’eau
boueuse le long de la berge
on voyait des cygnes sales
des canards ébouriffés
des ragondins gras
à qui des enfants jetaient du pain
sur l’autre rive des bateaux amarrés
j’avais hâte d’arriver au métro
et qu’on se sépare
Patrick Palaquer
Ecosystème
des puffins cendrés nichent
sur les dévers ou
dans le désordre des moraines
la proximité de la barque
est pour eux une source d'inquiétude
certains viennent tournoyer au-dessus
font mine de piquer puis
s'en retournent auprès des juvéniles
quand des bateaux empruntent la passe
étroite entre les deux îles proches
l'embarcation roule et se soulève
maoro compense avec les jambes
conserve un impeccable équilibre
autour des centaines de méduses roses flottent
demain elles auront disparu ce n'est pas
le seul évènement inexpliqué
majesty assis sur le capot
du moteur diesel observe
les variations chromatiques
puis le flottement sur sa hampe
du drapeau sarde à quatre têtes
de maures aux yeux bandés
Daniel Labedan
Out of order
ce jour-là nous avons mis
le feu à un hotel de riches
pillé des magasins du centre-ville
j'ai ramené à Dirty-Lola
des fringues trop stylées
de la lingerie fine
le genre de trucs
que ma chérie mérite
sans pouvoir l'obtenir
par des moyens légaux
Daniel Labedan
Un mec toujours en noir
il sort des vannes
sur le 11 septembre
que personne ne comprend
et qui ne font marrer
que lui
il dit toujours
c’est cool
c’est cool
à propos de trucs
qu’il prétend avoir fait
et dont on ignore tout
de A à Z
bon
ça ne marche pas
c’est évident
d’abord
il n’est jamais
dans le même délire
que nous
et puis
c’est comme ça
dans la vie
on déteste toujours quelqu’un
et pas de chance
c’est tombé sur lui
Jean Marc Flahaut
Le mot sur la table
Je voulais te l'annoncer ce matin
mais tu es partie trop vite
à midi tu étais triste
et énervée
tu m'as dis s'il te plait, accorde moi
un peu de répit
et puis l'aprés-midi
a été longue et laborieuse
derrière la vitre
je suis rentré plus tôt
avec l'envie de m'enfuir
il y avait ton mot
sur la table
qui disait ça suffit ...
Thomas Vinau
Hors tension
il se la coulait douce
observait les visiteurs
les écoutait parler
de la météo
de la nouvelle fromagerie industrielle à Cartoe
allait promener les chiens sur le sentier pierreux
dont les lacis grimpaient jusqu'à une crête
à l'Ouest s'élevaient les sommets du Monte Tiscali
au fond d'une vallée
miroitaient des marmites d'eau douce
à l'Est s'étendait la mer
un matin le parfum d'un lait solaire
lui rappela Missy Pharaon
il alla acheter une carte postale
choisit une vue colorée et exotique
écrivit au dos Salut Missy j'espère que tu vas bien
donne-moi des nouvelles de Lido
je crois que sa colère va l'emporter
et je suis inquiet
puis plus tard ce jour-là
il partit naviguer avec son oncle Maoro
au large de Cala Gonone ils posèrent une pélamidière
revinrent sous les étoiles
et une fois la barque amarrée
burent deux ou trois anisettes
avec des plaisanciers de Cagliari
Daniel Labedan
Une absence
ce dimanche soir Miss Dolly ouvre
le réfrigérateur
le bac à légumes et
le compartiment congélation sont vides
les étagères sont désertes à l'exception
d'une spécialité chinoise minute
dont la date limite de consommation est dépassée
jusqu'à ce qu'elle obtienne
sa première licence Miss Dolly
allait dîner le dimanche chez ses parents
parlait de ses problèmes
échangeait des points de vue
repartait parfois avec
un peu d'argent glissé
en cachette dans la poche
de son manteau vert-pomme
après la disparition de sa mère
sur les étagères du salon
et les murs du couloir apparurent
des photographies où celle-ci
figurait en vacances à Castelsardo
avec des amis dans une fête beat
souriante à bord d'un voilier
étendue sur une chaise longue
ou accoudée à la balustrade
d'un escalier monumental
une année durant
Miss Dolly resta fidèle au rituel
du dimanche soir
tenta de redonner à son père
un peu de foi en l'avenir
tu es encore jeune tu peux refaire ta vie
lui disait-elle
non ma fille je ne recommencerai
rien du tout jamais
murmurait-il
ensuite elle commença à espacer ses visites
les remplaça peu à peu
par des conversations téléphoniques
ou des lettres qui se terminaient
par je t'embrasse et je pense à toi
Daniel Labedan
Deux intouchables
du comptoir je l’aperçois
de profil assise
un verre une bouteille de soda
un cendrier posés devant elle
sur une table au plateau usé
elle semble attendre
l'air grave le regard perdu
d'une main elle fume une cigarette
de l'autre elle tortille entre ses doigts
une mèche de cheveux auburn
puis pose ses yeux sur moi
juste assez longtemps
pour me donner l'idée
d'un possible lien
mais à quoi bon ?
elle me regarde à nouveau
je finis ma bière blanche
en la regardant à la dérobée
dans le reflet des miroirs
Patrick Palaquer
La bière ne suffit plus
en fin de soirée
un barbu
monte sur la table
et hurle
putain !
réveillez vous c’est
la crise !
et tous
on applaudit mentalement
la surprenante
lucidité de ce type
des étoiles
plein les yeux les yeux
les yeux
Jean Marc Flahaut
Avant dispersion
aucun chemin à prendre
ne me satisfait tout à fait
par voie de terre
certains sont pavés
d'intentions douteuses
d'autres se terminent
aux pieds d'aplombs
au bord de hautes falaises
en bas on voit dans un brouillard
les contours estompés
d'objets perdus
par voie d'eau
les fleuves charrient des troncs
les côtes sont hérissées de
toutes sortes d'obstacles
visibles ou invisibles
au-delà tu ne m'attends plus
Daniel Labedan
Tour de magie
Je ne sentais pas trop la secrétaire mais tu m'as dit que c'était normal. J'étais le seul homme dans la salle d'attente. Le cabinet était dans un angle, exigü, sombre comme un débarras. Tu m'as lâché la main pour te déshabiller et une fois sur la table d'auscultation tu l'as reprise illico. Nous avions un peu peur, même si la gynéco avait une voix douce et souriait. Je ne savais pas où me mettre dans cet espace si féminin. Mes yeux ont trainé sur les instruments autour de la table. La gynéco avait des gestes sûrs, trés naturels. J'ai imaginé la sensation de froid lorsqu'elle a appliqué le gel transparent sur ton bas-ventre. Tu as pressé ma main lorsqu'elle a dit que tout allait bien. Puis on a vu notre enfant gigoter sur le moniteur, et je t'ai vu sourire.
Thomas Vinau
Photographie Alexandra Bougé
à la plage
coucher du soleil
la mer refroidit
comme un drap sorti de la machine
on rentre enfin chez soi
plein de sable
entre les orteils
plein de goudron
pour les souvenirs
Sébastien Doubinsky
Photographie Missy Pharaon
Tension, chants
allongé sur le gazon ras
les yeux occupés par
l’étirement d'un cirrus
Lido tente d’endiguer sa colère
et son désir de destruction
écoute les chants des merles
les cris dissonants des paons
certains lieux dans la ville influent
sur le cours habituel de la pensée
enlacent l'esprit un moment
avant de le libérer en partie apaisé
ainsi en va t-il de la gare des cimetières
du rivage dentelé de la baie
des parcs et jardins de l'aéroport
du zoo où les oiseaux multicolores
s'ébrouent sous une haute et large volière
Daniel Labedan
Les chevelures sous-marines
après les cours Majesty s'en va nager avec Missy Pharaon
sous l'eau la forme de leurs corps s'estompe se dissout
en surplomb d'une épave de goélette
coiffée de posidonies
plus tard ils se sèchent l'un contre l'autre
Majesty suit du doigt les cicatrices
qui courent sur les jambes de son amie
alors qu'ils rentrent
la haute silhouette du ferry Monte Cinto
disparait derrière les reliefs de l’ile-forteresse
un laurier proche vibre sous l'effet
de la brise son frémissement
éveille en Majesty le souvenir
des chênes verts et des oliviers
sur les collines sèches de Sardaigne
Daniel Labedan
Rêveur ! Engage-toi !
( 103ème jour de détention pour Julien Coupat )
le déclin et la pauvreté se lisent
sous des formes diverses
fissures pierres descellées détritus épars
mobilier urbain détruit hautes façades
noircies magasins et ateliers clos
leurs volets couverts de graffitis
au-delà du centre-ville c’est
un champ de bataille
des jeunes analphabètes se battent
pour posséder des objets de malheur
fabriqués par de lointains hommes-machines
il ne faut pas baisser les bras
démontrons sans attendre notre envie d'agir
dit miss Dolly en tirant Majesty et Strass par la manche
Daniel Labedan
Je n'ai pas d'avenir
quand je vais chez lui à solférino
grand-père janosh est toujours à écouter
son cher philip glass
a toujours le regard
perdu dans les branches du tilleul
il me serre contre lui et
tout son coeur
est dans cette étreinte
va chercher des bières puis à ma demande
sort le carton des photos classées par décennie
cette fois nous en sommes à 60-70
des inconnus posent
en uniforme blanc sur un navire de ligne
le tout jeune oncle janosh s'appuie
sur la queue noire d'un piano allemand
le front réhaussé de diadèmes fleuris
des jeunes femmes se tiennent les mains ébauchent une ronde
une mère donne le sein à un nouveau-né
celui-là c'est ton père tu le reconnais ?
me demande grand-père Janosh
oh grand-père je ne vais pas bien
je ne vois pas comment m'en sortir
comment gagner un peu d'autonomie
et certains soirs je voudrais que ça se termine
oh majesty oh mon petit
pourquoi dis-tu des choses pareilles
chaque jour est un don du ciel
un petit rien suffit à l'enchanter
dors ici si tu veux de la chambre du haut
à ton réveil demain tu verras la forêt
et un chevreuil peut-être ou un renard
Daniel Labedan
UFR 10
en dehors des missions
d'intérim dans la restauration rapide
le bâtiment ou la manutention
Strass poursuit un master à l'UFR10
étudie des textes dont les éléments
fondateurs remontent à l'origine des pensées
ce soir comme la fatigue amoindrit sa réserve
il se confie un peu à miss Dolly
dit que la philosophie lui semble
par nature une discipline
imparfaite et inadaptée
une suite d'instants
où la compréhension éclate et
cède sa place au désordre
puis à un double-cheeseburger frites coca
mangé dans le parc seul en face
d'un cerisier à fleurs rouges
Daniel Labedan
Le Finnegan's Wake
Dans une rue en pente face
à la tour de l'université
derrière la double-porte aux trente-six rectangles vitrés
voici le quartier général et
les portraits-photos des morts pour la cause
accrochés sur le mur de droite
à côté des avis légaux n’empêchent
pas les plans d'un soir les élans l'envie
d'aller toucher l'eau de danser
d'oublier la pauvreté les repères critiques
ou les missions célestes
chacun ici caresse l’idée de ne pas
en découdre de flotter simplement
vers l’amour loin des guichets des contrôles des sirènes
des cris des peintures vengeresses
bonsoir Majesty
bonsoir miss Dolly
bonsoir Lido
bonsoir Strass
bonsoir tout le monde
Daniel Labedan
Shoto Keki
je suis venu
jusqu’à lui je suis venu
lui dire
ce qu’il fallait faire
ce qu’il fallait changer
dans sa vie parce que sa vie était
vraiment
vraiment merdique
si vous saviez
je lui ai montré des clefs
pour ouvrir des portes
dans son âme
je lui ai raconté
des histoires simples
en faisant comme
si ces histoires se passaient
à l’étage du dessous
je lui ai montré des clefs
pour ouvrir des portes
fermées depuis trop longtemps
je l’ai fait de tête sans me tromper
une seule fois car
je connaissais déjà tout ça par cœur
Jean Marc Flahaut
Lèvres
Le baiser est l’acte le plus intime qui soit, encore plus que le coït lui-même. Quand vous embrassez quelqu’un, vous choisissez de ne pas le mordre. Vous respectez sa langue. Vous respectez ses mots. Vous respectez l’essence même de sa différence. De sa nécessaire différence, qui vous embrasse en retour.
Sébastien Doubinsky, in Mots d'orange
Fais moi voir tes poèmes
fais moi voir tes poèmes
dit-il
et je lui en montre un
que je viens de terminer
il inspecte chaque phrase
dans le moindre
détail
on dirait une démonstration
gratuite
pour un détachant quelconque
très drôle
dit-il et maintenant
fais moi voir tes poèmes
Je chante les causes perdues et crains celles qui ont triomphé.
W.B. YEATS
Sixième work-in-progress de la revue. Chaque texte, chaque poème, chaque photo que vous nous enverrez participera à la définition d'un esprit à la fois particulier et universel. Nous attendons de vous, lecteurs, des créations qui comme à l'habitude doivent se présenter sous forme de pièces jointes adressées par email à notre adresse. Cependant nous nous réservons la possiblité d'accepter ou de refuser les travaux qui nous parviendraient.